
Dans l’intense thriller Reality, Tina Satter revient sur l’histoire de Reality Winner, première lanceuse d’alerte condamnée en 2018 en l’application de l’Espionnage Act sous la Présidence de Donald Trump. Dans ce premier long métrage la cinéaste adapte sa propre pièce de théâtre mise en scène à Broadway, Is this a room (2021). Tous les dialogues sont issus de la transcription originale du FBI lors de l’interrogatoire de Reality Winner en juin 2017, accompagnés de procédés de mise en scène très réalistes. Une injustice portée à l’écran, pour mieux nous faire réfléchir au-delà.
Le 9 mai 2017 Trump limoge le directeur du FBI James Coney qui est alors chargé d’enquêter sur ses liens avec la Russie. Le 3 juin, deux hommes plutôt avenants se présentent au domicile de Reality Winner. Ils se révèlent bien vite être des agents du FBI. Vétéran de l’armée de l’air et professeur de yoga, Winner est interrogée sur le champ. Les enquêteurs cherchent à savoir si lors de son activité dans le domaine du renseignement elle aurait pu divulguer des documents classifiés sur l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016.
Lunettes, mèche peignée de côté, l’agent Garrick, Josh Hamilton, dirige l’interrogatoire. L’homme se montre souriant. Il relève ses points de convergence avec Reality à la carrière militaire pas si éloignée de la sienne et de son collègue Taylor, Marchant Davis. Blonde, la vingtaine, Reality est une militaire américaine qui exerce des hobbies courants tels que Yoga ou Cross-fit et vit avec ses animaux, un chat et un chien. Rien de bien méchant. Au fur et à mesure des questionnements, le piège va se refermer sur Reality. L’approche des agents du FBI que l’on sent cordiale, tournera à l’interrogatoire technique franchement tendu pour la jeune femme, superbement interprétée par Sydney Sweeney qui, face caméra, déploie le jeu des émotions les unes après les autres.
Le surréalisme de la situation frappe le spectateur. Les moyens employés sont démesurés. En short, baskets jaunes et chemise blanche, coiffée d’un chignon à la va-vite, la jeune femme se retrouve soudainement entourée d’hommes (pour certains bodybuildés) et empêchée de faire tout mouvement, chez elle comme s’il s’agissait d’une dangereuse terroriste.
Cette fiction s’appuie sur la réalité des faits. La forme du récit créé son originalité car il résonne dans le réel et s’y réfère régulièrement de manière frontale. La mise en scène intensifie l’interrogatoire par des références multiples aux documents du FBI sur lequel est basé le récit. Écrits et bande son du véritable interrogatoire de la jeune femme s’intercalent ainsi dans le récit fictionnel, à l’image et au son, venant appuyer le propos. La sobriété narrative permet au thriller de se développer tout en tension. On sent la gêne des agents qui interrogent une des leurs, une collègue dans cette discussion au départ cordiale et qui deviendra vite un véritable interrogatoire avec toutes les conséquences qui s’ensuivent.
Reality Winner se verra inculpée en 2018 d’une peine « pour l’exemple ». Cinq ans de prison pour avoir fait fuiter un document classifié qui révélait une tentative de piratage russe dans l’élection de Trump. «Je savais que c’était un secret mais j’avais aussi juré de servir le peuple américain» expliquera-t-elle. La jeune agente de la NSA a révélé ce document pour sauver l’intégrité du système électoral. L’histoire d’une courageuse jeune femme normale, gorgée de colère à force d’assister aux mensonges et complots assénés au peuple américain, notamment par la chaine Fox News sur laquelle les ingérences russes étaient constamment niées. Force est de constater que depuis, les ingérences se sont multipliées dans plusieurs pays et que le Capitole a été attaqué. Une oeuvre à voir et à méditer.
En salle ce 16 août.