
Réaliser un film sur Napoléon, de la part d’un cinéaste britannique qui roule sa bosse à Hollywood, voilà un pari audacieux. Après un générique signé à la plume grinçante sur le papier de Napoléon, Ridley Scott signe une fresque ambitieuse et puissante sur L’Empereur français, incarné par le charismatique Joaquin Phoenix. Biopic et grande fresque historique, le long métrage du cinéaste est un spectacle grandiose qui dresse le portrait de cette célèbre figure historique sous un angle psychologique rare extrêmement intéressant, sur un scénario de David Scarpa. Une vie romanesque décrivant le chemin vers son exil et son retour sur la scène française.
En 1789 Marie-Antoinette, la dernière Reine de France est exécutée. Le Lieutenant Napoléon Bonaparte assiste aux bouleversements de la Révolution française avant de connaitre une ascension fulgurante au sein du commandement et des institutions françaises jusqu’à devenir empereur. Il rencontrera sur cette destinée son unique amour, Joséphine.
Le portrait psychologique de Bonaparte dépeint par Ridley Scott est celui d’un amoureux. Amoureux de la France d’abord et amoureux éploré, désespéré de sa femme, Joséphine. Regard bleu intense fidèle aux portraits de l’Impératrice, port altier, Vanessa Kirby (The Crown) donne corps à cette mère de famille veuve qui sort de prison après la Révolution française. Le point d’appui essentiel pour Ridley Scott dans la compréhension du personnage principal est constitué par les lettres qu’a écrites tout le long de sa vie Napoléon à Joséphine. Le cinéaste les transpose en voix-off, témoignages véritables d’une relation passionnelle et tourmentée, mais aussi de la psychologie fort méconnue de cet homme.
Au départ plutôt discret, Bonaparte va prendre sa place dans la fresque comme il l’a fait dans l’histoire. Joaquin Phoenix (The Joker) est époustouflant en Napoléon. L’interprétation de l’acteur toute en émotion, montre un homme simple, direct et parfois nerveux, socialement maladroit, mauvais amant, infantilisé sous l’emprise des femmes (sa femme et sa mère) et qui dit de lui-même qu’il n’est « pas en proie au doute ». Il se révèle également un génie stratège et excellent chef militaire qui remporte les batailles les unes après les autres, de la prise de Toulon aux anglais jusqu’à la défaite de Waterloo.
Plaisir de cinéaste, les batailles sont tournées en décor réel avec de nombreux figurants. En Imax et avec les moyens techniques actuels ces scènes sont imparables, immersives et fascinantes. Bien qu’on lui reproche certaines inexactitudes historiques, Ridley Scott signe un travail fouillé, riche de détails et porte un vrai point de vue sur la société française de l’époque. Il pose les faits qui ont provoqué et permis l’ascension de cet homme de tête, après une Révolution voulue et lancée par un peuple affamé. Ce film est important sociologiquement. Il retentit dans le présent, au moment où le monde connaît la recrudescence des extrêmes et la montée possible de dictateurs potentiels comme la révolte d’un peuple avec les gilets jaunes. Ridley Scott décrit comment Napoléon a assisté aux bouleversements de la révolution française, pour laquelle «Le peuple s’est battu parce qu’il avait faim, a fait la révolution et cela n’a rien arrangé après coup, le peuple a toujours faim ». Comment l’exécution d’une reine dans l’imbroglio de la Révolution française avec un peuple affamé a conduit à un marasme généralisé qui a donné le goût à un homme de ramener de l’ordre social quitte à tirer à coups de canon sur ce peuple.
Ridley Scott décrit aussi la montée d’un homme fort dans une Europe géographique divisée avec des batailles entre anglais, prussiens et russes et montre par là le chemin qui a été fait depuis en rappelant le nombre de morts engendrés par les prises de territoire de Napoléon, qui s’élève à plus de trois millions. Dans ce biopic le cinéaste touche de près la spécificité de l’âme française et ses conflits internes avec notamment les caricatures chères à la société française (et toujours d’actualité). D’abord la pièce de théâtre qui se moque de la décapitation de Marie-Antoinette, puis les caricatures dans les journaux sur les occupations de Joséphine pendant l’absence de Napoléon.