The Brutalist de Brady Corbet, retour à la vie pour Adrien Brody

Brady Corbet signe un drame épique passionnant sur un architecte juif hongrois rescapé de l’holocauste qui émigre aux états-unis. Séparé de force de son épouse et de sa nièce bloquées en Europe l’homme attend que sa famille le rejoigne. Bouleversée par l’horreur de la seconde guerre mondiale sa vie d’artiste prendra espère-t’il un nouveau départ à Ellis Island. Le scénario de ce biopic au personnage principal inventé est co-écrit par le cinéaste avec Mona Fastvold. Ce drame sombre construit par chapitres dure trois heures trente-quatre, nécessaires à vivre pleinement les aventures hors du commun et sur trente ans de cet homme. Brady Corbet a décroché le Lion d’Argent – Prix de la mise en scène à la Mostra de Venise, plusieurs Golden Globes et est très attendu aux Oscars….

Après la seconde guerre mondiale, Laszlo Toth quitte l’Europe pour enfin respirer à l’air libre à Ellis Island. La Voix-off de sa femme séparée de lui lit une de ses lettres empreinte du flot de désespoir de l’immédiat après-guerre tandis que son mari tente péniblement de sortir de l’enfer du bateau bondé où il se trouve et que l’on devine. Ensuite c’est l’air libre, le ciel gris mais lumineux, la statue de la liberté sans dessus-dessous. Une première séquence invite le spectateur dans la vie de ses personnages dont on comprend la résilience exemplaire. Car le cinéaste reste muet sur le passé des protagonistes et leur vécu dans les camps. Ce passé ne sera qu’esquissé, supposé, insufflant encore plus de puissance au récit.

Laszlo Toth est fabuleusement incarné par Adrien Brody qui tente de reconstruire une vie nouvelle pour lui et sa famille. La reconnexion des êtres après avoir connu l’horreur peut être difficile. Quand Erzébet, Felicity Jones sa femme le rejoindra, elle lui aura menti dans ses lettres sur un point. Les retrouvailles sereines « comme avant » sont presque impossibles pour des êtres qui ont été enfermés a Dachau pour les unes et à Buchenwald pour lui. Entamer une nouvelle vie relève presque d’une chimère ou d’un fantasme. L’Amérique dans laquelle ils arrivent n’est pas le rêve américain promis. Le commerce y est une jungle et le monde n’accepte pas la folie que constitue la Shoah. Le cinéaste décrypte le statut des juifs aux Etats unis après guerre parmi les WASPS dans une amérique naissante moderne où tout semble possible, mais le rêve américain n’existe pas. A son arrrivée Laszlo dormira dans un placard et rejoindra les nombreux sans-abris à la soupe populaire. A la manière de Fassbinder le cinéaste voit en l’homme une certaine puissance du mal, comme s’il n’y avait pas de rédemption possible suite à l’enfer des camps par la seule force de la nature humaine. Les protagonistes vivent dans « l’après » mais le mal que l’on croit éradiqué est toujours là, parfaitement exprimé, notamment à travers le versatile Harrison Lee Van Buren, parfait Guy Pearce, riche entrepreneur de Pennsylvanie.

Dans le combat de Laszlo pour se créer une nouvelle vie, la création sera salvatrice, elle réunit les êtres. L’architecte s’est formé au Bauhaus, mouvement artistique interdit par les nazis. La bibliothèque créée par Laszlo chez Harrison d’abord rejetée finira par être admirée par tous. Les oeuvres architecturales brutalistes de Laszlo incitent au divin et dépassent toutes les religions évoquées dans ce drame.

L’Excellente mise en scène permet au cinéaste de faire planer les non-dits de l’embarrassante situation de ce passé non exprimé, « Vous êtes terriblement maigre », de Laszlo et de sa famille lors des dîners organisés par son bienfaiteur. Il en fait tout un art et c’est brillant. Laszlo et Erzébet traînent leur trauma en société comme si de rien n’était. Zsofia leur nièce, Raffey Cassidy la plus traumatisée a perdu la parole.

Le réalisateur questionne la place de celui désigné comme « Juif » aux Etat-Unis dans l’immédiat après guerre. L’humiliation continue, comme la manipulation, malgré l’horreur vécue. Le mécène dans sa grande mansuétude n’appréciera pas les mendiants. La place à part du juif semble légalisée après guerre. Attila, Alessandro Nivola, cousin de Laszlo, marchand de meubles, se fait lui-même appeler Miller & fils et s’est auto proclamé catholique. Fuir la honte.

Ce drame s’ancre dans l’histoire mondiale. La radio annonce la création de l’Etat d’Israël en 1947 et l’on comprendra plus tard la volonté de la plus fragile, Zsofia, de rejoindre cette terre qui s’affiche pour elle comme protectrice, tandis que les autres préfèreront rester. Ces événements résonnent terriblement dans le monde actuel et expliquent par l’intime la grande Histoire. Ce film à l’émotion palpable qui laisse des traces est filmé enpellicule 70mm Vista Vision et renoue d’autant plus avec une certaine grandeur du cinéma américain.