«Le silence est presque la cinquième langue du film» Miwako Van Weyenberg, Soft Leaves

Après avoir réalisé trois court-métrages Zomereregen (Summer rain) en 2017, Il faisait noir en 2015 et Hitorikko (Only Child) en 2014, Miwako Van Weyenberg signe un premier long métrage régénérant, Soft Leaves. La cinéaste scénariste nous offre à voir une pépite d’émotion sous la forme d’un drame initiatique, un objet cinématographique étrange gorgé de belgitude autant que de Japon, autour d’une famille inspirée qui partage sa riche culture entre ces deux bouts du monde. Entretien avec cette Bruxelloise flamande atypique, une cinéaste aussi lumineuse que son personnage principal.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de réaliser ce film ? J’aime raconter une histoire personnelle en partant des émotions. Ici le récit est fictionnel, je n’ai jamais vécu ce que vit Yuna mais je connais très bien les émotions qu’elle ressent. Je suis à moitié belge à moitié japonaise. Je voulais parler de la recherche d’identité dans différentes cultures et aussi dans une famille. Le récit s’est construit d’abord par les émotions, les personnages et enfin l’histoire. Certains scénaristes et réalisateurs travaillent en commençant par l’histoire et écrivent des films supers, mais je ne sais pas comment commencer avec l’histoire, pour moi l’inspiration provient toujours des émotions.

Votre film est riche de nombreux de thèmes. On retrouve en filigrane le racisme quand les filles font du vélo. Il y a l’incommunicabilité entre les gens et aussi l’incommunicabilité par les langues différentes. Y a-t-il a un peu de vous dans le personnage de Yuna? Oui certainement, quand j’étais petite je parlais néerlandais avec mon père, japonais avec ma mère et mes parents parlaient français entre eux. Il n’y avait même pas de langue commune. J’ai l’habitude de tout le temps parler l’une de ces trois langues. Décrire des personnages qui parlent uniquement néerlandais est quelque chose que je ne connais pas. C’est difficile pour moi de voir comment cela fonctionne, pour moi les langues constituent aussi quelque chose de culturel. Une barrière se créée parfois à cause ou grâce aux langues ça dépend, mais il y a quelque chose de très culturel dans le switch entre les langues. Par exemple je m’appelle Miwako mais c’est aussi Van Weyenberg, c’est Yuna et puis Vanderlinden, il y a aussi une identité là-dedans.

On a justement l’impression que le film ouvre à d’autres identités, un ailleurs, à d’autres choses, comme au moment où la maman offre des baguettes à ses enfants. Elle leur offre un bout d’ailleurs. C’est une porte ouverte? Oui exactement, j’aime bien travailler avec les petits détails, le quotidien. Les langues sont très présentes dans le quotidien. C’est très culturel. C’est la même chose avec la nourriture. Offrir des baguettes, ou même le comportement lorsqu’on mange un bol de riz avec des baguettes diffère très fort de celui de manger des pizzas ! J’aime les petits détails qui racontent une histoire comme le non verbal, le non-dit. C’est quelque chose qui m’attire beaucoup dans les autres films. J’adore faire le mix des langues, le mix des scènes où les protagonistes mangent.

Comment avez-vous construit ce duo, frère-sœur qui fonctionne à merveille entre Lill Berteloot (Yuna) et Kaito Defoort (Kai)?Tout le monde peut écrire sur papier dans le scénario un frère et une sœur, mais cela n’insuffle jamais le véritable sentiment de fratrie. C’est très cliché, mais quand j’ai vu Lill au casting il était clair que c’était elle. Il s’est passé la même chose avec Kaito. Dès le départ on a fait des sorties, on est allés visiter le jardin botanique, on a fait des escape Rooms et plein d’activités ensemble. C’est très vulnérable de jouer, je trouvais très important d’avoir d’abord une amitié pour que l’on n’ait pas le sentiment de la relation réalisateur-acteurs avec une distance très éloignée de celle qui existe entre frères et sœurs.

Dans votre film Yuna va subir une crise existentielle assez terrible, et pourtant tout est interne. Il y a un bouillonnement en elle que l’on ne perçoit pas, dans le non-dit. Je voulais rester très proche de Yuna pendant tout le film et ressentir avec elle. Quand on montre des réactions plus amples, cela peut être surprenant pour le spectateur, et je voulais éviter qu’il y ait une distance entre les deux. Que l’on vive les choses vraiment avec les personnages, même les crises.

En terme de mise en scène, vous restez avec Yuna et de temps en temps, le son semble prendre tout l’espace et vient nous faire ressentir son émotion. Il s’agissait de chercher comment être dans le petit cocon de Yuna, d’être très proche d’elle et de ressentir les émotions avec elle. On a aussi essayé d’être très proche avec l’image mais d’une manière naturelle et pas invasive, comme avec le son.


Le son a une importance très forte, pourriez-vous expliquer son statut dans Soft Leaves ? Le sentiment de nostalgie est très difficile à montrer uniquement avec des images. La nostalgie a quelque chose de très sensoriel et je voulais absolument qu’on la ressente dans le son et dans l’image. Je souhaitais avoir dans le son des éléments de la nature comme les feuilles, les arbres, les oiseaux qui sont plutôt sensoriels, comme je souhaitais que le silence soit également palpable. Le silence est presque la cinquième langue du film. Il n’y a presque pas de musique dans le film, je crois que c’est à cause ou grâce à, je ne sais pas de nouveau, au fait que mes parents soient musiciens. Je suis très sensible à l’univers sonore, les bruits, mais aussi la musique. Avec mes parents on n’écoutait jamais la radio donc avoir une présence sonore qui est juste là m’est impossible. S’il y a de la musique, je vais l’écouter. Il m’est difficile d’entendre beaucoup de bruit dans un film et dans Soft Leaves j’utilise un morceau, Melez Lavanta qui revient plusieurs fois aussi pour ça. Ce morceau au piano procure un sentiment très nostalgique. J’ai découvert la pianiste Bürsra Kayikçi quand elle jouait à Louvain, c’était la première fois qu’elle se produisait au nord de la Turquie. Il s’est passé la même chose qu’avec Lill, c’était une évidence. Juste après qu’elle ait joué je suis allée voir l’organisation pour demander si je pouvais discuter avec elle pendant cinq minutes, je voulais absolument lui demander si je pouvais utiliser la musique.

Cette maison si particulière est un vrai personnage du récit . Elle est un peu d’inspiration japonisante. Ce n’était pas l’idée de base quand on cherchait la maison, mais quand je l’ai vue c’était évident. Elle est presque un mix d’identité belgo-japonaise. Je n’avais pas envie de faire un film gris, le sujet est déjà assez lourd et la maison très ouverte sur l’extérieur nous aidait à ouvrir l’espace, à pouvoir respirer.

La maison est plongée dans la nature comme l’est Yuna. Que représente la nature pour vous? Une grande partie de la nature représente une certaine liberté, pouvoir respirer, le calme aussi. Même si je n’aime pas trop expliquer des métaphores, il existe une certaine idée de liberté également dans les oiseaux.

Les oiseaux sont un symbole très fort, notamment dans ce sifflement du père qui appelle sa fille assise dans l’arbre. Le fils Kai a aussi un certain rapport à l’oiseau. On sent une grande symbolique aussi par rapport à la distance et l’impossibilité de relier ces deux pays que sont le Japon et la Belgique. Oui d’un côté il y a la distance et de l’autre côté le sensoriel qui peut aider à trouver un équilibre.

Yuna dessine et sa mère danse. La jeune fille et sa mère sont artistes. Etait-il nécessaire pour vous qu’elles aient toutes les deux cette spécificité? Ce n’était pas nécessairement le fait qu’elles soient artistes mais plutôt l’idée de mouvement. La maman est danseuse et ses mouvements ressemblent parfois un peu à ceux des oiseaux. Les dessins sont fixes mais les mouvements du crayon sur le papier sont aussi très sensoriels. Plutôt que l’idée que Yuna aime bien dessiner et qu’elle soit artiste, l’idée est vraiment celle du sensoriel de nouveau avec des mouvements qui sont très naturels.

Certaines de vos références artistiques ont-elles influencé ce film? Les influences sont nombreuses et je ne saurais pas les reconnaitre. J’aime beaucoup les films japonais et européens. Je connais moins le cinéma des États-Unis. J’ai travaillé sur ce film pendant sept ans, il y a eu beaucoup d’évolutions. J’étais parfois dans des périodes où je regardais plus des peintures et où j’étais dans quelque chose de serein, dans le non-dit, d’autres fois j’étais plutôt dans l’action, dans le mouvement. Une évolution était là dans le scénario, mais aussi dans les influences qui ont fait Soft Leaves.

Quelles sont les oeuvres cinématographiques qui vous ont de manière générale particulièrement marquées ? Hana-Bi de Takeshi Kitano qui est très différent de Soft Leaves. Je l’ai vu pour la première fois à 18 ans. Cela fait maintenant 13 ans que je regarde ce film peut-être trois ou quatre fois par an. Ce n’est pas forcément une influence pour Soft Leaves, mais il y a quand même quelque chose de très calme dans le rythme que je trouve incroyable. C’est l’un de mes films préférés mais en même temps quand j’ai l’envie de le regarder c’est presque une obligation. Je dois absolument voir Hana-Bi ce soir par exemple et quand je commence à le regarder j’ai presque peur parce que je sais que cela va me faire ressentir quelque chose auquel je ne m’attends peut-être pas. Même après cinquante ou soixante visions il y a toujours quelque chose de différent. J’ai la même chose avec Maborosi le premier long-métrage de fiction de Kore-eda. Il a aussi quelque chose dans le rythme, dans la Lumière dans le sens du sensible avec toujours le petit détail du quotidien. C’est aussi quelque chose qui m’attire beaucoup.

Le film a déjà été sélectionné en festival, quels ont été les retours des spectateurs? La première mondiale a eu lieu à Rotterdam, il y a eu Ostende également. Beaucoup d’inconnus sont venus me raconter une histoire très personnelle. C’est très intense, ils veulent partager quelque chose mais comme je le dis toujours, je n’ai pas de message ou de grandes histoires à raconter. C’est plutôt quelque chose de très personnel et si ça peut atteindre quelqu’un d’une manière très intime dont je ne connais pas l’histoire, ça me touche vraiment beaucoup. Certains connaissent différentes cultures dans leur famille, ou parfois c’est une personne dont quelqu’un dans la famille a eu un accident. Les éléments de ce récit atteignent différemment les gens. Ça me fait très plaisir d’entendre les petits éléments qui touchent quand même une histoire personnelle.

C’est votre premier long métrage. Avez-vous déjà des projets ? Je suis en écriture. C’est vraiment le tout début de l’écriture. J’aimerais bien continuer toujours dans les histoires personnelles mais également expérimenter.

Quel est l’élément déclencheur? Cela peut être une émotion ou un moment où j’ai un sentiment dont je ne sais pas d’où il vient et que je cherche à comprendre. Comme la nostalgie dans Soft Leaves qui était quelque chose que je sentais très fort. Je m’étais par exemple demandé « C’est quoi la nostalgique que j’éprouve pour les vacances d’été ? » Au début de Soft Leaves c’est presque le début des vacances d’été et cela génère un sentiment particulier. Maintenant quand on évoque des vacances de deux mois ça passe très vite, mais deux mois de vacances d’été pour un enfant c’est une éternité.

Cela rejoint cette idée de liberté avec l’oiseau… Oui, ce sont ces petits éléments de détails qui constituent une émotion.

Ce film vous a pris sept ans, le temps nécessaire pour le réaliser? J’ai pris le temps pour l’écriture. Un film ça prend du temps. J’ai 31 ans maintenant, j’étais très jeune quand j’ai commencé l’écriture. J’ai évolué en même tant que le film. C’est chouette d’avoir évolué en même tant que le projet. C’est un confort aussi de quelque chose qui était toujours avec moi. Maintenant c’est presque le moment de lâcher pour la sortie en salle, mais ça me fait aussi plaisir de dire ok… C’est presque un petit time capsule. Je crois que je ne peux absolument pas être pressée pour écrire quelque chose, c’est pareil dans le film. Il faut prendre le temps de sentir les émotions.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles 2025.
Portrait de Miwako Van Weyenberg, Nick Decombel.