
Peu de films ayant pour décor l’Allemagne de l’Est s’emparent du sujet avec humour comme le faisait brillamment Good Bye Lenin! De Wolfgang Becker en 2003. Two to One (La Belle affaire) s’inscrit dans cette filmographie ambitieuse, celle de faire partager au spectateur l’absurdité vécue par les Allemands de l’Est après la chute du mur de Berlin. Natja Brunckhorst signe une comédie drôle et décalée sur un casse rocambolesque, une histoire oubliée de la réunification allemande aussi incroyable que méconnue. La cinéaste livre un récit coloré, rafraichissant, riche d’un humour profond qui combat l’âpreté de la réalité de l’Allemagne de l’Est de l’époque.
1990, en pleine réunification des deux Allemagnes les ouvriers d’un même quartier d’ex-RDA se retrouvent sans emploi. Ils découvrent un jour l’emplacement de milliers de billets est-allemands voués à la destruction. Les banques convertissent encore les anciens billets, mais il ne reste que trois jours aux intrépides…
Dans ce film choral Natja Brunckhorst réunit un casting pariant sur une vraie solidarité entre les personnages. La lumineuse et joyeuse Maren, Sandra Hüller, est une mère de famille dont les rêves d’aventure ont manqué de liberté, que son oncle Markowski, excellent Peter Kurth va réveiller. Un triangle amoureux se dessinera entre la mère de famille, son compagnon Robert Max Riemelt et Volker Ronald Zehrfeld qui débarquera comme un un revenant après des années à l’Ouest. La petite bande va accomplir à quarante ans ce qu’elle aurait fait à dix ans. On retiendra également la très audacieuse performance de Ursula Werner dans le rôle de Kate, une grand-mère futée qui se plaint qu’après 70 ans de privations on lui demande soudain de changer de mode de vie. Une femme qui a tout vécu et qui peut donc tout se permettre.
Le scénario décrit avec une grande justesse des êtres bouleversés, sans emploi qui touchent le chômage, « Je ne veux pas d’argent sans travail », « C’est comme ça maintenant ». La cinéaste porte un regard tendre sur ces personnages attachants qui bien qu’ils trainent leurs failles avec eux, se distinguent par une extrême résilience affublée d’un humour corrosif. Par une tentative folle, ils vont parier un énorme coup de poker avec l’aide d’un oncle «disparu» qui travaille à l’armée. Jouer avec les limites du système socialiste et renverser la particularité de l’Ouest et de son marché ouvert pour jouer sur la consommation heureuse à tout va, voilà une furieuse entrée du monde libéral dans ce petit quartier tranquille de Berlin-Est. Les protagonistes connaissent parfaitement les rouages du système, en useront et abuseront à leur avantage rappelant inlassablement des valeurs de solidarité. Chacun verra rapidement son intérêt commun et comme ils le justifieront, « L’argent de l’état c’est l’argent du peuple ». Autrement dit : un vol collectif dans le but de restitution au peuple n’est pas un vol.
Cette comédie dresse le rêve d’une vie meilleure pour cette moitié de la ville de Berlin qui a été privée de tout ce dont l’Ouest profitait, notamment la liberté. Les protagonistes le découvriront à leur grand regret et étonnamment dans leur usine. Aussi incroyable soit elle cette histoire vraie n’est pas finie. Le casse du siècle a fait vibré la banque nationale allemande et certains vieux Marks circulent encore aujourd’hui…