L’île Rouge de Robin Campillo, la fin d’un monde vue par les yeux d’un enfant

Après son impressionnant drame coup de poing 120 Battements par minute, Robin Campillo se délocalise à Madagascar pour y tourner L’île Rouge, une fresque d’époque à hauteur d’enfant. Il y décrit le monde des adultes vu par les yeux d’un garçon rêveur dans un moment méconnu de l’histoire française, lié à fin d’un monde colonial dans les années 70. Un temps arrêté, instructif et adouci à la fois, par la description que nous en propose ce jeune personnage principal inspiré de l’enfance du cinéaste. A lire aussi : Entretien avec Robin Campillo.

Début des années 70 sur une base française à Madagascar. les militaires et leurs familles vivent les dernières illusions du colonialisme. Le jeune Thomas vit ses années de jeu emplies d’imaginaire en assistant à cette fin de règne colonial.

A partir de ses souvenirs d’enfance, Robin Campillo adopte un point de vue unique sur une époque. Il nous raconte dans un récit intime les derniers moments du colonialisme français à Madagascar à travers la vie d’une famille de colons. C’est à un déjeuner dans un jardin paradisiaque, que nous convie le cinéaste sur l’ile. Séquence étrangement imprégnée d’un huis clos forcé car deux mondes ne se mélangeront jamais, celui des colons et celui des insulaires. Les colons habitent l’ile « avec toutes les habitudes d’un vrai village gaulois » s’esclaffera l’un des convives pour accueillir un jeune couple fraichement arrivé. Le cinéaste plonge le spectateur dès le début du récit dans l’univers imaginaire de l’enfance. Le film s’ouvre en effet sur un épisode des aventures de fantômette aux prises avec des brigands. Le jeune Thomas est passionné par la célèbre héroïne des romans de la Bibliothèque Rose créée par Georges Chaulet ; passion qu’il partagera avec sa copine d’école.

Le discret Thomas voit tout. Le regard de l’enfant nous raconte le quotidien d’une famille et des collègues de l’armée, sans jugement. Les soirées dansantes des parents où les uns flirtent avec les autres… Nadia Tereszkiewicz et Quim Gutierrez interprètent les parents du jeune garçon sensiblement campé par Charlie Vauselle et se fondent dans le formidable décor reconstitué des années 70. Peu à peu quelques incidents apparaitront dans le récit, sans dramatisation, symbole de l’innocence d’un regard enfantin mais qui interrogent le spectateur. Deux soldats noyés dont on n’a pas retrouvé les corps, une rébellion des paysans du sud de l’île pour laquelle l’armée française n’est pas intervenue selon son père, qui a «Juste transporté en avion vers le sud les paras de l’armée locale de Madagascar ».

Ce film porte la valeur du témoignage intime sur une vie privilégiée inconsciente d’un témoin inattendu, ce touchant petit garçon. Un personnage qui se trouvait là et décrit les choses qu’il a vues avec son regard innocent et bienveillant. Une grande douceur émane de ce récit qui restera engagé malgré tout. Au-delà de l’innocence grandit un troublant et indéfinissable malaise, petit à petit, comme si ces moments paradisiaques étaient menacés, à juste titre. Plus tard les insulaires prendront une pleine place dans le récit et le film s’engagera pour porter leur voix et décrire les manifestations qui ont eu lieu, amorçant la révolution de 1972.

Photo L’ïle Rouge © Gilles Marchand