Sisi & Ich de Frauke Finsterwalder, la démystification d’un mythe avec panache et cocasserie

La scénariste et réalisatrice allemande Frauke Finsterwalder signe une comédie dramatique à partir d’une biographie fascinante, celle d’une dame de compagnie, perle de savoir auprès d’une grande Dame de l’Histoire. Elle réalise ainsi une plongée dans la vie d’Élisabeth Amélie Eugénie de Wittelsbach Impératrice d’Autriche, Reine de Hongrie, de Bohême et de Lombardie-Vénétie dite Sissi, à travers l’arrivée d’une dame d’honneur à la personnalité revêche pour l’époque, la Comtesse Irma Sztaray. De beaux personnages féminins dont la rencontre sera explosive. La cinéaste adapte Mes années avec Sissi écrit précisément par Irma Sztaray dont elle revoit l’histoire sans complaisance, reprenant les événements historiques en les confrontant au grand écran. Elle dépoussière l’époque, et nous montre ces femmes dans leur quarantaine. Le film était sélectionné à la Berlinale en section Panorama.

Séparée temporairement de son mari l’Empereur François-Joseph 1er, Sissi vit dans son palais à Corfou. C’est là que la rejoindra sa nouvelle dame d’honneur, la comtesse Irma Sztaray. Avec Fritzi, Sophie Hutter, Dame de compagnie de l’Impératrice, elles forment une communauté de femmes qui vit à l’écart des hommes, exception faite du patient Berzeviczy, Stefan Kurt, envoyé par l’Empereur, Markus Schleindzer.

La cinéaste égratigne l’image inscrite dans l’histoire télévisuelle populaire de la « belle princesse Sissi » jouée par Romy Schneider restant tant amidonnée dans le récit des anciens téléfilms réalisés par l’autrichien Ernst Marischka. Le cinéma tend actuellement à remettre à l’honneur et à moderniser le storytelling sur l’Impératrice d’Autriche. Dans le film Corsage de Marie Kreutzer, Vicky Krieps interprète également une Sissi quarantenaire et sa vérité de femme, allant à l’encontre du récit populaire de convenance. Une pointe de féminisme ne fait pas de mal pour réactualiser le mythe cette figure historique.

La brillante mise en scène sert un ingénieux scénario qui dévoile le contexte des événements présents vécus par après, à postériori. Proche de Sissi,Louis-Victor de Habsbourg-Lorraine, Georg Friedrich, est d’abord montré dans son intimité, en tenue efféminée. La cinéaste ne le filmera que plus tard dans son rôle social, arborant l’uniforme de soldat. Dans la séquence d’ouverture le spectateur découvre pour la première fois la Comtesse (Irma) dans un moment plutôt cocasse. Cette dame est alors inspectée sous toutes les coutures par une femme qui ne parle que d’une célèbre inconnue : « Elle », si mystérieuse et tellement exigeante… Le spectateur ne sera informé que plus tard de l’identité du personnage filmé (Irma) et de celle de l’illustre inconnue, l’Impératrice.

Sandra Hüller (Toni Erdmann de Maren Ade, Anatomie d’une chute de Justine Triet, Palme d’Or 2023 à Cannes) incarne la pugnace Comtesse Irma Sztaray qui ne s’en laissera pas conter.Dans cette scène Irma, 42 ans, est donc inspectée comme on l’aurait fait d’un cheval y compris la dentition et perce ses points noirs, vite grondée par son envahissante mère. Les dés sont jetés et l’on perçoit alors la personnalité atypique de ce personnage sélectionné pour une impératrice hors-normes. Frauke Finsterwalder distille dans sa narration de nombreux détails méconnus rutilants de vérité. Irma est malade sur le bateau qui la mène à Corfou et la cinéaste choisit de nous le montrer. Frauke Finsterwalder en appelle à la vigilance du spectateur et met ses sens en éveil, en questionnement par rapport au récit proposé dont il ne maitrise pas le contexte.
« Pas de codes sociaux chez moi comme à la cour ». S’il n’y a pas de codes chez elle comme l’affirme la si particulière Sissi, Susan Wolff, il existe pourtant de nombreuses règles à respecter. Ni embonpoint ni homme ne pourrait vivre chez elle. L’Impératrice pèse ses invités et leur assène un régime strict. Car avec Sissi il faut savoir courir, randonner et adopter des tenues pratiques de femmes modernes et actives, par ailleurs anachroniques à souhait.
Lors du retour à la cour la mise en scène est fulgurante. Alors que le palais de Corfou est un véritable paradis vert où l’impératrice profite de l’air marin et de la lumière du sud, son retour protocolaire est un cauchemar. La cinéaste filme en plongée l’avancée de l’impératrice parmi les fidèles avec le son assourdissant de la foule venue l’applaudir. Le spectateur ressent alors l’abysse entre la vie paradisiaque ressourçante au grand air de cette femme et la contrainte insurmontable qu’impose sa fonction au milieu des foules. Elle s’évanouira lors de cet événement qui, amené judicieusement, fait ressentir au public l’impossibilité pour Elizabeth de revenir à la cour.
Hyper moderne, rythmée, la bande son atteindra son paroxysme au moment ou Irma l’héroïne, entonnera le chant extra-diégétique contemporain qui entrera alors soudainement dans l’époque et dans l’espace du film. Un moment narratif brillant et très audacieux.

La voix off nous annonçait au début du film cette mystérieuse inconnue comme une femme qui symboliquement « donnait ou reprenait de la lumière ». La dame de compagnie finira effectivement par comprendre que Sissi a ses jouets sont elle se lasse. Elle sera à ses côtés à Genève le 10 septembre 1898 lors de son assassinat.