
Après sa fascinante série Esterno Notte sur le kidnapping et l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges en 1978, Marco Bellocchio signe à plus de quatre-vingt ans une fresque historique grandiose au classicisme pointu inspirée d’une terrifiante histoire vraie. L’Enlèvement (Rapito) plonge dans les méandres de l’histoire de l’Italie du nord avant son unification, sous le règne du Pape Pie IX. Cette fresque historique, à la fois drame familial et social était en compétition officielle à Cannes, grand oublié des jurés.
En 1858, Edgardo Mortara, jeune garçon juif de Bologne, est enlevé de sa maison familiale par des soldats du Pape. Ayant été baptisé en secret par sa nourrice, il doit recevoir une éducation catholique.
L’histoire originelle abracadabrante à la dramaturgie poignante n’a rien à jalouser à la fiction. Le cinéaste italien lève le voile sur une partie de l’histoire méconnue de l’Italie. Un scandale d’état à une époque où le Pape régnait sur l’Italie du nord et qu’aucune séparation n’existait alors entre la religion et l’état. Le catholicisme, aussi fanatique soit-il, régnait en maître.
Bellocchio met en scène ses personnages avec beaucoup de psychologie. Le cinéaste parvient à imager le cauchemar de ce drame familial précipité par les autorités religieuses des deux côtés. De celui d’Edgardo, le jeune garçon, Enea Sala, qui rêve de parvenir à décrocher le Christ de la croix en enlevant les clous qui le blessent tant. Par là même le cinéaste décode tout le langage de l’art religieux si impressionnant et effrayant pour le jeune qui découvre cette imagerie inconnue et récite ses prières en bon juif sous ses draps. L’évolution dans le temps du jeune Edgardo est nourrie et riche. Il deviendra un adulte surprenant, Leonardo Maltese, métamorphosé. La version du drame côté famille est également savamment ressenti et rendu à l’écran. Barbara Ronchi interprète la mère d’Edgardo avec âme, douleur et détermination. Fausto Russo Alesi joue un père qui louvoie entre les protagonistes et tente d’arranger cette incompréhensible histoire.
Ce drame puissant est une critique au vitriol de la religion avec la toute puissance du Pape et de son emprise sur le peuple. Un antisémitisme puant suinte des hauts lieux du catholicisme avec l’enlèvement de ces jeunes juifs pour les convertir. La mise en scène est ciselée dans les moindres détails. Bellocchio nous plonge dans l’Italie du XIXème siècle avec ses décors et costumes somptueux dans une Bologne reconstituée mais qui semble tellement vraie qu’elle retrouve son aspect ancien et historique sur le grand écran.
L’Enlèvement reprend un grand sujet politique et assume tous les thèmes chers au cinéaste comme la famille, la fratrie, la religion. Le thème de la traîtrise est également cher au cinéaste qui dit de lui même avoir trahi les siens, sa famille et la religion. La traitrise, un point commun avec l’anti héros de son histoire Edgardo Mortara. Le jeune garçon trahira les siens malgré lui. La mère de Bellocchio, plus qu’une fervente catholique était presque fanatique et superstitieuse. Il la raconte dans l’histoire de sa famille dans le passionnant et bouleversant Marx peut attendre. Le cinéaste s’est délesté de ses lourdes charges morales pour transcrire ses émotions au cinéma, pour le meilleur.
Entretien avec Marco Bellocchio Barbara Ronchi pour Fai bei Sogni (Sweet dreams).