Rencontre avec Barbara Ronchi, mère adorée dans Fai Bei sogni (Sweet Dreams) de Marco Bellocchio, tout en discrétion…

Barbara Ronchi accompagne Marco Bellocchio à l’occasion de la sortie de Fai Bei sogni en Belgique. Elle y joue la mère du jeune Massimo, une femme souriante, tout en délicatesse, dont on soupçonne une sorte de mélancolie cachée. Son interprétation est discrète, presque pudique.

S.L. : Comment avez-vous rencontré Marco Bellocchio ?
B.R. : Le directeur de casting du film est venu voir le spectacle dans lequel je jouais au théâtre et m’a demandé de faire des essais avec Marco. J’ai fait cinq essais en tout, parce qu’il semblait que pour des raisons liées à la production, il fallait un nom de comédienne plus connu que le mien. Malgré cela Marco a finalement décidé de me choisir.

Qu’est-ce qui vous a touché dans le personnage de la mère de Massimo ?
J’avais lu le livre de Massimo Gramellini, (Fais de beaux rêves mon enfant ndlr) le personnage de la mère était le plus poétique, c’est à la fois un mélange de grande ironie et de beaucoup d’absence aussi. Ce qui m’a touchée le plus est l’idée que pour cette femme, se lever chaque matin était un grand défi à relever. Je me suis efforcée de garder cette pensée en moi.

Etait-ce difficile de jouer un personnage à la fois très gai et avec des moments de mélancolie à suggérer ?
Il est normal que pour chacun d’entre nous une situation ne soit pas seulement joyeuse ou triste. Durant tous les moments de joie que j’avais avec l’enfant, je me disais que la tristesse pouvait être un peu voilée, cet état ne devait pas transparaître, sauf à de petits moments. L’un de ces moments c’est lorsqu’elle chante, ou quand ils voyagent en tram, mais là, c’est déjà la fin de l’histoire du personnage.

Le spectateur ne sait pas que cette femme est dépressive, quelles étaient les indications de Marco Bellocchio pour interpréter son état ?
Les indications étaient très belles. Le maître-mot était « Discrétion ». Il ne fallait rien exhiber de cette douleur. Il fallait surtout penser que cette femme était réelle et pas un personnage imaginaire. Beaucoup de pudeur était nécessaire par respect envers cette femme. Marco a souhaité fixer l’attention sur mes yeux et me prévenait quand la caméra se rapprochait très près de moi. Dans les scènes les plus importantes comme celle du carton, de la neige, ou du tram, la caméra est toujours très proche de moi.

Finalement ces indications servaient à jouer quelque chose qui était presque du domaine du rêve ?
Plus que le domaine du rêve c’est celui du souvenir. Mais effectivement, comme c’est le souvenir d’un enfant, cette image de la mère peut se rapprocher d’une image rêvée.

Comment se passe la direction d’acteur sur le plateau avec Marco Bellocchio ?
Il a été très paternel avec moi, très protecteur. Il n’a jamais été dominateur ce qu’il a fait de temps en temps avec les autres, mais pas avec moi. C’était probablement dû à son respect vis-à-vis du personnage.

Vous laissait-il proposer des choses ?
Oui. Comme c’est un artiste, un peintre, lui-même réfléchissait à d’autres solutions malgré le scénario. Pendant le tournage, il s’est rendu compte qu’il fallait mettre plus de scènes où la mère était joyeuse. La première scène du film n’était pas écrite. Il en a rêvé la nuit même du jour de tournage. Ce jour-là il a décidé de monter cette scène où la maman et l’enfant dansent. Tous les autres opérateurs ont dû s’adapter pour que l’on puisse réaliser cette séquence. Celle-ci montre l’affection de la mère et l’enfant dans les bons moments et marque la différence au moment où la mère disparait.

C’est sur votre personnage que repose l’histoire, tout tourne autour de la disparition de la mère tant regrettée de Massimo. Aviez-vous la pression avant de voir le film ?
Je n’ai compris que le film était centré sur la mère que pendant le tournage, pas avant ! (rires). Au début, je croyais que le film allait se faire autour de Massimo, l’enfant. J’ai tourné avec une certaine sérénité et je me suis rendu compte de l’importance du rôle de la mère seulement à la vision du film.

Comment s’est passé l’interprétation avec le jeune Nicolo Gabras ?
C’était très facile. Nicolo réagissait immédiatement à chaque chose que la mère faisait. Dans la scène où elle chante la chanson de Modugno son visage est très expressif car il est très surpris de ce qu’il se passe mais il ne fait pas semblant, il l’est vraiment. C’était tellement surprenant pour lui qu’il me posait même la question « Mais pourquoi as-tu commencé à pleurer à ce moment là ? ». Il n’avait pas lu le scénario, il improvisait. Il avait de petites actions à faire mais ne savait pas comment ça allait se dérouler exactement. Il s’adaptait de façon très spontanée.

La mère regarde Belphégor avec son fils, pour vous c’est une métaphore de l’histoire ?
Belphégor est déjà présent dans le livre de Gramellini et si l’on retourne aux années soixante, c’était quelque chose d’assez épouvantable dans l’imaginaire collectif. Cela effraie la mère de Massimo et en « échange » le garçon choisi Belphégor pour meilleur ami. C’est quelque chose qui appartenait à la mère et qu’il s’approprie.

Que pensez-vous des adultes qui n’ont pas révélé la mort de sa mère à Massimo ?
Un enfant ne sait pas ce que signifie perdre sa mère, les adultes si. C’est un problème d’adulte d’expliquer à un enfant : « ta maman n’est plus là ». Les enfants sont en état de comprendre, les adultes auraient dû lui dire tout de suite la vérité.

Qu’est-ce qu’on ressent en jouant avec l’un des maîtres du cinéma italien ?
C’est un privilège et un honneur mais Marco ne fait pas sentir qu’il est un grand maître comme savent le faire tous les grands. Lorsque l’on travaille avec quelqu’un de si grand tout est plus facile.

Avez-vous des projets ?
J’ai beaucoup travaillé au théâtre mais depuis que j’ai fait ce film je n’y parviens plus. J’ai déjà joué dans un long-métrage sur la vie de Nino Manfredi, un grand acteur italien, et deux séries télévisées. La première s’appelle Romanzo famigliare de Francesca Archibugi et une autre qui s’appelle La Linea verticale avec Valerio Mastandrea.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Festival du Cinéma Méditerranéen de Bruxelles.

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