« Notre société a négligé à tort les bienfaits de l’art, du sport et du vivre ensemble », Entretien avec Rachid Djaïdani pour Tour de France.

Rachid Djaïdani est un cinéaste atypique dont la biographie détonne. Agent de sécurité sur le tournage de La Haine de Mathieu Kassovitz, il devient Champion de boxe anglaise en Ile de France avant de devenir acteur. Romancier, auteur de documentaires, il réalise avec Tour de France son deuxième long-métrage après le très remarqué Rengaine. Il présente cette comédie touchante et drôle avec le duo percutant Sadek-Depardieu au Festival du Cinéma Méditerranéen de Bruxelles.

S.L. : Votre premier film Rengaine a été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs et nommé au César du Meilleur premier film. Ces mises en valeur ont elles servi à produire Tour de France ?
R.D. : Pour Rengaine j’ai démarré seul, ça a pris neuf ans de ma vie et ça m’a offert un bonheur inouï. J’ai appris ce qu’était un plan, à me battre pour mon œuvre, à laisser des choses de côté mais c’était merveilleux. Malgré le succès, cela fut très compliqué de trouver les financements pour Tour de France. Quand on revient, on revient à zéro. Mon cinéma je le veux un peu social à la Ken Loach, avec de l’humour et sans prise de tête, mais un jeune cinéaste autodidacte n’est pas attendu dans un cinéma assez conformiste.

L’idée de Tour de France est venue comment ?
Quand j’ai écrit mon premier roman Boumkoeur en 1999, j’avais été abordé par des gars qui faisaient un road trip à travers la France et enregistraient des rappeurs sur des productions musicales qu’ils avaient créées. Ils m’avaient proposé d’écrire un texte. J’ai trouvé l’idée complètement dingue et commencé à les filmer. En parallèle de ça, après Rengaine j’ai fait un documentaire sur un peintre qui s’appelle Yassine Mekhnache, que j’ai suivi pendant trois ans. A partir de tout ça : le rap, la peinture, l’idée de vouloir faire un film après Rengaine et puis, à force de rêve, l’idée a émergé. C’était aussi pour moi l’occasion de donner mon point de vue à la fois sur ceux que l’on cristallise comme étant les cailleras ou les français de seconde zone, mais en même temps un moyen de dire aussi que tous les français n’étaient pas racistes et que le monde ouvrier n’était pas raciste.

Le scénario a t’il pris beaucoup de temps à écrire ?
J’ai mis deux ans de création et de rêves.

Les dialogues sont percutants, c’est une comédie et on rit…
C’était important. Parfois les gens rient et ça me surprends. J’adore ça, je sais comment faire et j’ai eu vraiment du plaisir à l’écrire.

Dans l’histoire, les éléments de départ sont posés comme des clichés…
Si tu habites dans un quartier populaire et que tu ne peux pas dormir à cause de gamins qui font je ne sais quoi c’est une réalité d’une partie de la société. C’est de cette meute que j’extrais Far’hook. L’autre cliché si l’on peut dire, c’est cette France dont Serge fait partie, que l’on considère comme raciste et qui cristallise à la fois tous les espoirs et désespoirs. Espoirs dans le sens que cela rapportera des voix à certains partis et désespoirs de cette France qui a été complètement délaissée, mise à l’écart et n’existe que dans le rejet. Ce sont des clichés mais qui sont ancrés dans une réalité. Ce qui est dingue c’est que je prends deux Français, c’est le peuple de France. En même temps, ça montre bien qu’il y a un problème.

Les personnalités de Far’Hook et Serge sont elles aussi aux antipodes ?
Leurs singularités ce sont leurs personnalités très fortes. Far’hook vient de Paris avec des origines qu’il raconte Kabyles même s’il n’a pas connu sa grand-mère. A côté de ça, on a un français, qui a un fils convertit à Islam et a du mal à le vivre.  Il se retrouve avec un gamin avec qui tout l’oppose et dans lequel il va pourtant voir comme un fils. Quand j’étais maçon, j’ai vécu avec ces Serge, avec des personnes qui pouvait râler contre les arabes mais ensuite te prenaient la main et t’expliquaient comment faire un bon mortier. Ce que je veux dire, c’est que les gamins sont aussi racistes que Serge. Et que dans la première séquence du film, la première personne qu’ils insultent c’est une maman que l’on sent d’origine maghrébine. On est face à une jeunesse qui n’a plus de repères.

Sadek en est justement un bel exemple, c’est une révélation dans le film. Comment l’as-tu trouvé ?
Clément Dumoulin qui a fait la musique du film est très implanté dans l’univers musical du rap et m’a permis de le rencontrer, lui et tout un tas d’autres rappeurs après que j’aie cherché sur internet des groupes de rap. A la fin du casting c’était une évidence que Sadek allait incarner avec beauté et brio Far’hook.

Etait-ce une évidence qu’il allait remplir l’espace face à Depardieu ?
Non, d’ailleurs je ne lui ai pas dit tout de suite qu’il allait rencontrer Tonton ! (rires). Quand on a commencé à avancer on a évoqué l’acteur qu’il allait avoir face à lui. Avant ça, j’ai fait beaucoup d’essais avec d’autres personnages pour voir jusqu’à quel point il pouvait encaisser. Au moment de les présenter, Je demande à Sadek de m’accompagner, on tape à la porte de tonton. Il ouvre, « Bonjour mon garçon, ça va Rachid ?, Alors c’est toi le rappeur ? » « Oui » « Comment tu t’appelles ? » « Sadek. » « Alors ca va ? tu vas bien ? » il le scanne et dit : « Allez, on va faire un grand film ». Une demi-heure plus tard, on tournait la séquence où les personnages se rencontrent.

Ils ont joué la scène directement après leur rencontre ?
Juste après, sans répétitions et le jour où ça se passe comme ça tu te dis ça y est, c’est bon. Il a tenu.

Comment dirige t’on Depardieu ?
On ne le dirige pas, il nous porte. C’est comme si tu demandais comment on dirige Mohamed Ali.

Mais en tant que réalisateur…
Quand Tonton s’est engagé dans le film il a absorbé son personnage. Il l’a vécu, Serge transpirait vraiment en lui. Dire : Tonton est-ce qu’on pourrait la refaire ?  Est-ce qu’on peut considérer ça comme diriger ? je ne pense pas. Non, il te porte toi et ses partenaires. Je ne veux pas être maladroit mais c’est un génie. J’ai le bonheur d’avoir travaillé avec beaucoup d’acteurs, mais quand tu as gouté à la quintessence de son jeu c’est difficile de penser à d’autres après lui.

Ce qui rapproche Far’hook et Serge c’est leur souffrance…
Et dedans on entend l’écho de France… Oui, ce qui les rapproche c’est leur souffrance. C’est aussi cette trajectoire imprévue dans l’habitacle de ce camion, sorte de huis clos qui permet au film de faire en sorte qu’ils ne puissent pas se sauver. Ils vont devoir se regarder, se sentir, se respirer, se dire les quatre vérités en face sans concession et à un moment ça va coller.

L’art est aussi ce qui les réunit ?
Pas au premier abord. Cela se fait au fur et à mesure. Serge s’intéressera au rap progressivement comme Far’hook à la peinture de Vernet.  Il y a l’art mais pour moi, à un moment, ce sont les regards qui les réunissent. D’ailleurs l’art participe aussi au clash, quand Lama commence à chanter, Serge lui dit « Les arabes ça connait Serge Lama ? C’est pas raciste ce que je dis. »

Ils parviennent à entrer chacun dans le monde de l’autre. Est-ce que l’art la culture, sont des solutions pour vous dans la société actuelle ?
Comme vous me voyez, l’art m’a sauvé la vie… Aujourd’hui, notre société a négligé à tort les bienfaits de l’art, du sport et du vivre ensemble. Elle a oublié de mettre en avant des hommes et femmes différents : peintres, écrivains, réalisateurs. Il faudrait encourager de jeunes cinéastes qui viennent de certains univers pour pouvoir donner des exemples. A un moment la création n’appartient plus à l’artiste mais l’artiste est important. Parce que pour une jeunesse qui n’a plus de repères, plus personne qui prend la parole, il est essentiel de pouvoir se dire « regarde lui ! je peux m’identifier à lui, si lui l’a fait, moi je vais le faire ! ».

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy dans le cadre du Festival du Cinéma Méditerranéen de Bruxelles.