
Témoins du malaise actuel des professeurs après les meurtres de deux d’entre-eux en France, les fictions dans l’univers scolaire se multiplient au cinéma (La Salle des profs). Toutes ont en commun de questionner les valeurs fondamentales de l’éducation, si difficiles à poursuivre dans les écoles aujourd’hui. Si l’école inspire les cinéastes, exit les comédies collège rigolotes, elle devient, signe de ces temps troublés, l’antre du thriller. Pas de Vagues est une fiction inspirée d’un fait divers qu’a vécu son réalisateur, Teddy Lussi-Modeste, alors professeur dans l’education nationale française.L’implacable scénario co-écrit avec Audrey Diwan (L’Evénement, Lion d’Or à la Mostra 2021) va lentement et insidieusement transformer le quotidien d’un établissement scolaire en thriller.
François Civil incarne un jeune professeur qui prend ses marques dans un collège. Il transmet son savoir avec passion, persuadé du bien fondé de son enseignement, animé par les grands noms de l’éducation et de la culture. « Mignonne allons voir si la rose…. », c’est de cette manière que Julien enseigne à ses élèves comme prof de Français. Il laisse les jeunes s’exprimer, dénoncer la potentielle « drague », constater que le poète « gère »… avant de les conduire à comprendre la signification du poème romantique de Pierre de Ronsard. Une incompréhension et c’est l’emballement. Le professeur se verra malgré lui accusé de harcèlement par l’une de ses élèves.
Pas de Vagues est l’expression utilisée dans l’éducation nationale pour étouffer les conflits entre l’école et le monde extérieur, une façon de faire défaut à sa fonction. Teddy Lussi-Modeste décortique les mécanismes de la structure scolaire sensés protéger élève et professeur. Il décrypte la manière dontun fait anodin dans une classe peut tourner au cauchemar pour un professeur et quels garde-fous permettent à cet enseignant de tenir bon tout en étant menacé de mort. Dans cette virée aux enfers, François Civil joue parfaitement ce prof épanoui qui aime son travail et souhaite transmettre des valeurs aux élèves. Cette histoire est autant ubuesque que palpitante. Car d’un quotidien scolaire plutôt banal, l’école devient le lieu de tous les dangers. Le rythme d’accélère et le professeur tombera dans un engrenage incontrôlable. La solitude de l’enseignant s’intensifiera, peu à peu, dans un système en spirale.
Cette fiction dénonce les failles du système scolaire et d’une éducation nationale française refermée sur elle-même, incapable de soutenir et protéger ses agents. Le collège ne le protège pas vraiment Julien, pourtant menacé de mort, car « une plainte au rectorat retirerait des points au chef d’établissement ». Le Rectorat peut répondre sous deux à trois mois à la demande de mise sous protection d’un professeur, ô combien urgente. Si la réponse de l’institution est négative, le professeur en question n’en sera pas informé. Le Rectorat économise ainsi judicieusement les lettres de réponses négatives, et tant pis pour celui dont la vie est menacée. Teddy Lussi-Modeste démontre la légèreté avec laquelle l’éducation nationale traite des cas extrêmes dont certains ont tourné au meurtre de professeurs. Souvenons-nous du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, assassiné suite à des menaces de mort à son encontre ou encore de Dominique Bernard, professeur de Lettres à Arras assassiné en tentant de défendre ses élèves.
Pas de Vagues est une fiction d’utilité publique qui peut contribuer à aider le Rectorat à constater le danger de son inaction et chacun à prendre ses responsabilités. Le film de Teddy Lussi-Modeste peut aider à développer l’esprit critique comme le fait Julien dans ses cours. A faire des vagues.