Les Fantômes de Jonathan Millet, Adam Bessa aux prises avec ses ombres

La 63ème édition de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes commençait fort ce mois de mai 2024 avec Les Fantômes (Ghost Trail) de Jonathan Millet, Un premier long métrage qui traite d’un sujet contemporain tiré d’une histoire vraie. Jonathan Millet réalise un thriller passionnant et s’intéresse aux conséquences de la guerre en Syrie sur le peuple syrien, à la fois sur les victimes et les bourreaux. L’histoire prend place entre la Syrie et la France après la guerre qui a sévi en Syrie depuis 2011. Le Premier long métrage de Jonathan Millet évoque des références en cascade. On pense notamment aux Patriotes de Eric Rochant qui était également un premier long métrage singulier et marquant. A lire aussi: Entretien avec Adam Bessa.

Syrie mars 2014, Hamid est lâché en plein désert. Deux ans plus tard, il travaille à Strasbourg en France. A la recherche d’une ancienne connaissance, l’homme est de plus en plus mystérieux.

Jonathan Millet signe un thriller psychologique intense. Si cette histoire palpitante est également incroyable, la pièce maitresse est sans doute le héros du film, ou plutôt un anti-héros, un être abîmé, traumatisé par un passé qui le pousse à être constamment borderline. Hamid est un protagoniste énigmatique aux motivations floues qui nourrissent le suspense. Insécurité et mystère flottent autour de ce personnage qui se comporte comme un électron libre. Réfugié syrien, il se joue des services de l’immigration français. Attendu en Allemagne pour se régulariser il persiste à vouloir rester à Strasbourg. Adam Bessa crève l’écran dans le rôle d’Hamid. Il nourrit le personnage de sa présence magnétique et de son regard sombre et perçant. L’acteur a remporté le prix de la meilleure performance pour Harka en sélection Un Certain Regard au festival de Cannes 2022. Au casting on retrouve également Tawfeek Barhom (excellent dans La conspiration du Caire), ou encore Hala Rajab et Julia Franz Richter.

Ce puissant thriller au rythme intense est servi par une mise en scène efficace au service du récit qui ne s’embarrasse pas d’artifice. Quand Hamid aperçoit l’homme de sa quête, tout son monde s’effondre. La bande-son nourrit des vibrations sonores fortes et graves. Le travail sur la bande-son est percutant et vient rappeler son passé au personnage traumatisé par des événements anciens. Ce parti pris sonore ajoute une pression psychologique supplémentaire sur l’homme déjà névrosé.
Le cinéaste se penche sur un sujet contemporain inédit au cinéma, la communauté syrienne réfugiée, expatriée en Europe suite à la guerre en Syrie. Il analyse une communauté meurtrie prudente et divisée qui ne sait ni où, ni qui sont ses bourreaux et les soupçonne parmi elle. Le film résonne avec la traque des anciens nazis même si ici le groupe est opaque et communique de manière discrète ultra moderne par des jeux vidéos. Le second point commun malheureux de ces deux faits historiques est l’expérimentation chimique sur des populations. Les prisonniers du régime de Bachar-Al-Assad subissaient d’intenses tortures expérimentales et chimiques, à la fois physiques et psychologiques.

Le film présente la difficulté de reconstruction psychologique des réfugiés et leur difficile résilience. Le pardon, la confiance envers la justice internationale sont-ils encore possibles après que le peuple syrien ait été abandonné à son triste sort et à son dictateur? Un grand thriller qui ouvre la réflexion.