La Partition de Matthias Glasner, la vie au scalpel – Coup de coeur 

La Partition (Sterben) est un drame majeur, une saga familiale hypnotisante, crue et drôle, écrite et réalisée par Matthias Glasner qui a décroché l’Ours d’argent du meilleur scénario au Festival de Berlin. Stebern signifie mourir en allemand. Curieuse traduction, La Partition est un titre adouci pour nos délicates oreilles, qui ne change pourtant rien au propos de ce chef d’œuvre cinématographique.

Caché derrière des gouaches enfantines, prologue à l’idée de famille, le cinéaste observe la mort à travers différents personnages de son récit. Les premiers chapitres structurant le film reprennent chacun les différents points de vue des protagonistes de l’histoire. La mère « Lessy Lunies », le fils Tom, sa soeur Ellen, tandis que la suite du récit se poursuivra par une unification de point de vue, celui de Tom jusqu’à l’épilogue.

Lissy Lunies, Corinna Harfouch et son mari Gerd, Hans-Uwe Bauer, gèrent tant bien que mal leur vieillesse dans l’entraide et la solidarité d’un vieux couple. Il en est les yeux et elle la tête, jusqu’à la survie. Cette première partie révèle un moment charnière de l’entraide à la dépendance d’un couple âgé et la dégradation des corps. Leur fils Tom, fantastique Lars Eidinger, talentueux chef d’orchestre, subit une construction familiale bancale, entre une ex, Anna Bederke avec qui, explique-t-il, « Il a en quelque sorte, un bébé ». Ellen sa soeur, Lilith Stangenberg assistante dentaire plutôt en dilettante, se noie dans l’alcool à ses heures perdues. Le lien de cette fratrie et de cette mère est leur don pour la musique. Ne dit-on pas que la musique adoucit les moeurs? L’oreille absolue permet à Tom d’être un célèbre chef d’orchestre tandis que le discret chant de sa soeur Ellen envoûte les foules. Cette famille dysfonctionnelle le sera à travers les générations. Les oppressantes relations de ses membres sont passées au scalpel d’un scénario implacable. Les êtres se parasitent les vies des uns des autres, comme le sera le travail de Tom lors de la terrible scène du concert.

Le cinéaste montre la vérité du réel par une mise en scène incisive dans son rapport à la vie et à ses limites. Il adapte le langage cinématographique sans craindre de mettre à l’écran la trajectoire de vie et la solitude des protagonistes. La séquence dans la chambre du père est ainsi tournée en un long et inexorable plan séquence fixe. Derrière l’univers sonore de musique classique contemporaine jouée par Tom et son orchestre (composée par Lorenz Dangel), le film pose une réflexion sur la création. Sterben est un poème symphonique sur la mort en plusieurs mouvements écrite par Bernard, Robert Gwisdeck, éternel insatisfait, « qui aime le pathos » diront certains. Tout le long du film les répétitions s’enchainent pour donner vie à cette oeuvre. Comment convient-il de l’interpréter? Faut-il se mettre en danger? « L’espoir dans la partition Sterben, n’est pas dans la partition mais dans le fait de la jouer » expliquera Bernard. Un parallèle se créé entre le drame qui se joue chez les personnages et la manière de diriger le morceau avec l’orchestre. Les émotions vécues guident l’art musical, se pose alors la question de la séparation de l’artiste et de sa vie.

Le film engage une réflexion sur la vérité dans le processus de création et la nature de l’interprétation par rapport au réel. Sur la manière dont vérité et réel interviennent dans la création, jusqu’à la question du libre-arbitre dans les choix des protagonistes. Le tout avec l’humour tragique et bien nécessaire de l’existence.