Un destin transcendé, une élégance auréolée d’une profonde intelligence, un talent certain et une résilience incomparable. Zar Amir est l’une de ces rencontres qui font penser à un personnage de cinéma. Lauréate du Prix d’Interprétation féminine au Festival de Cannes 2022 pour Les nuits de Masshad d’Ali Abbassi (Holy Spider), l’actrice iranienne se lance aujourd’hui dans la réalisation. Elle co-réalise avec le cinéaste Guy Nattiv (Golda) son premier long métrage, Tatami, dans lequel elle interprète une coach de judo très ambivalente. On admire le courage et la détermination de cette cinéaste-actrice émigrée en France depuis seize ans, émue par l’image du bateau de l’équipe des réfugiés qui glissait sur la Seine à l’ouverture des JO 2024 et dont elle connait le coach de judo, lui aussi iranien. Tatami est le fruit d’une collaboration irano-israélienne réussie et symbolique. Sorti sur les écrans en Israël le film ne sortira jamais en Iran selon Zar Amir, mais sera probablement piraté. Ce long métrage nous montre que l’espoir d’une entente entre les peuples est possible.
Vous étiez directrice de casting pour Holy Spider (les nuits de Mashhad), puis êtes devenue actrice principale du film. Quel a été cette fois le chemin pour collaborer avec Guy Nattiv ? Le chemin a été un peu similaire. Tout a commencé l’année qui précédait la présence de Holy Spider à Cannes (2022 ndlr) par une demande de casting pour le personnage. J’ai rencontré Guy quelques mois plus tard, au moment de la sortie du film aux USA. Il m’a offert Maryam. La base du personnage existait dans le scénario mais j’aurais souhaité un peu plus de profondeur. Je lui ai dit que je pouvais jouer ce personnage à la condition de pouvoir le rendre un peu plus complexe. On l’a donc retravaillé avec Guy et son co-scénariste, Elham Erfani. L’actrice principale Arienne Mandi qui interprète la judoka Leïla Hosseini était déjà rattachée au projet, mais étant donné mon expérience, Guy m’a proposé de m’occuper du reste du casting. Ce que j’ai fait. On était en contact tous les jours, pour le scénario, le cast, sur la question de l’authenticité, au sujet de cette rappeuse iranienne, Justina qui travaillait sur certains lyrics… Je donnais mon avis sur beaucoup de choses. Il ne se sentait pas légitime de réaliser ce film sur l’Iran seul et à un moment donné m’a proposé de le co-réaliser. J’ai séjourné un bon moment aux États-Unis, c’était vraiment une belle rencontre. La co-réalisation nécessite d’en évaluer la possibilité. Chacun a sa vision, sa manière de raconter l’histoire, son ego. J’ai pris mon temps pour discuter de beaucoup de choses artistiques et esthétiques. Il y avait aussi un aspect politique. Je me demandais si je serai jugée par les gens pour cette collaboration. Etais-je en train de mettre mon entourage en danger? Pour les gouvernements iranien et israélien nous sommes sensés être des ennemis. Un soir j’ai réalisé que je me posais les mêmes questions que Maryam. Il faut laisser tomber cette peur et le faire pour des raisons artistiques. C’était vraiment une belle expérience, même lorsque nous n’étions pas d’accord nous trouvions toujours un moyen de nous rejoindre. Au final c’est un film vraiment réalisé par nous deux. Cette collaboration est probablement historique sur ce film qui véhicule un message de paix, d’amitié, de beauté et qui j’espère inspirera les autres.`
La mise en scène est assez radicale, noir et blanc, un cadrage en quatre tiers qui enferme les personnages. Fallait-il cette radicalité-là pour raconter cette histoire? L’inspiration vient au départ d’oeuvres comme Raging Bull ou La Haine. Les personnages féminins nous ont aussi inspiré pour rester sur ces particularités de mise en scène et enfermer leur monde. Elles vivent dans un univers un peu en noir et blanc et font face à deux choix. Soit elles restent, elles perdent pas mal de choses, leur dignité, leur carrière. Soit elles partent, elles perdent également leur carrière mais elles gagnent la liberté. Cette décision est assez radicale. On a appuyé ce monde avec ce choix de noir et blanc aussi parce que l’histoire se passe presque entièrement en une journée, c’est très intense. De nombreuses raisons nous ont poussé à garder ces choix de mise en scène comme ce kimono de judo noir et blanc et ce stade que l’on a sélectionné pour tourner. C’est un stade de judo Géorgien à Tbilissi, dont l’architecture est assez soviétique. Si on avait tourné en couleur je ne sais pas comment on aurait pu se concentrer sur l’intensité qui habite le tatami. Et puis tout ce qui se passe dans les couloirs devait rester très fort au niveau du jeu d’acteur, des mouvements de caméra. Ces aspect noir et blanc et quatre tiers aidait à conserver l’intensité jusqu’au bout.

Les deux femmes s’ancrent dans le thriller et sont écrites comme deux personnages qui combattent entre elles. Oui, il y a un conflit et leur relation devient intense au bout d’un moment parce que Leïla happe cette réalité sur le visage de son entraîneuse. Celle de quelqu’un qui a menti, qui a caché la vérité à sa judoka alors que le judo est un sport basé sur la mentalité japonaise et sur le respect. On ne peut jamais blesser, on ne peut pas aller au jusqu’au bout de la violence, on s’arrête avant. Le respect réside dans l’attitude des gens et dans leur mode de vie. Donc Maryam est vraiment une looseuse. Cette jeune judoka le perçoit dans son visage en lui disant « Tu m’as menti, tu n’es pas cette championne de judo ! ». Et c’est là où elle commence à être vraiment déstabilisée. Le film est la confrontation de deux générations. La génération de Maryam qui est un peu la mienne et celle de cette jeunesse déterminée que l’on voit très bien en Iran aujourd’hui, symbolisée par Leïla. Son mari représente pour moi cette nouvelle génération d’hommes qui respectent les droits des femmes et sont là, main dans la main pour les accompagner. C’est un conflit et une confrontation que l’on ressent dans la société iranienne mais qui à la fin s’inspire d’elle-même. Leïla va inspirer Maryam et Maryam inspirera également Leïla. Leïla a cette force qu’elle a pris de Maryam et Maryam trouve ce courage influencée par Leïla.
Guy Nattiv tenait à apporter une certaine vérité dans ce film en co-réalisant avec vous qui êtes iranienne. Il y a deux ans vous disiez également que le plus difficile pour le cinéma iranien de la diaspora était de correspondre à la vérité de ce cinéma. Cela dépendait du point de vue du spectateur, d’où il regarde. Votre vision a-t-elle évolué pour ce film-ci ou s’oriente-t-elle vers un autre type de cinéma ? Ali Abassi, Guy et moi sommes des personnes qui aimons cette expérience consistant à essayer différents genres. Si vous regardez les films de Ali Abassi, aucun ne ressemble à l’autre. Pour Guy c’est la même chose. J’essaie aussi de garder une variation dans le genre de films que je fais et j’adore mélanger les genres dans un même film. C’est toujours un peu risqué, le trajet est assez complexe mais le résultat peut être intéressant. En ce qui concerne l’authenticité je suis de plus en plus dure. Je crois toujours la même chose. j’ai la possibilité de faire des films de diaspora qui parlent des non-dits, de ce qui est censuré et effacé par l’état iranien, algérien ou autre. Des histoires que l’on ne peut pas raconter facilement dans certains pays auxquelles je me sens toujours engagée. Si je raconte cette histoire il faut absolument que ça parle d’abord aux gens de ce pays-là. Je ne fais pas un film pour les gens qui ne comprennent pas la langue. Il faut rester authentique mais en même temps je comprends, à chaque fois que l’on fait des films qui sont un peu « de la diaspora » au final c’est de la fiction. On ne peut pas rester à 100% authentique mais il faut toujours trouver de bonnes solutions pour ne pas blesser l’histoire et le genre du film.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles 2024. Portrait de Zar Amir par Kris Dewitte.
A lire aussi: Entretien avec Zar Amir pour Les Nuits de Mashhad de Ali Abassi.
Critique des Nuits de Mashhad