Après une trop longue absence au cinéma, Michel Gondry marquait son grand retour en mai dernier sur la Croisette lors de la Quinzaine des Cinéastes en y présentant son dernier long métrage, Le livre des solutions. Le film sort aujourd’hui dans les salles belges. Celui qui en 2005 décrochait l’Oscar du meilleur scénario avec Charlie Kaufman et Pierre Bismuth pour le mythique Eternal Sunshine of the Spotless Mind revient en France poser sa caméra au coeur des Cévennes, dans la maison de sa tante Suzette à qui le film est dédié. Il réalise une comédie jouissive et décalée avec un réalisateur fou, Pierre Niney, double de lui-même pour ce rewind vers une histoire en partie autobiographique. Il y retrace avec beaucoup d’humour des moments de tension dûs à la bipolarité du cinéaste qui peine à finir son long métrage et le subtilise aux producteurs pour parvenir à le terminer. En découvrant le film on est frappé par la bienveillance qui plane parmi les personnages autour de ce réalisateur en crise, Marc, aussi mégalo que génial. En rencontrant le cinéaste on comprend soudain d’où vient cette bienveillance. De l’homme (avant l’artiste?) tout simplement. Le réalisateur inspiré de La Science des rêves et Soyez sympas, rembobinez est de passage à Bruxelles pour présenter son dernier film. Interview.
Stéphanie Lannoy : Pourquoi avoir choisi Pierre Niney pour interpréter le rôle de Marc, votre double?
Michel Gondry : Pierre Niney avait demandé à ce que je sois son parrain quand il était jeune acteur aux Césars. Quand j’ai fait le film il était devenu une vedette. Je lui ai demandé d’accepter le rôle en lui disant qu’il ne pouvait pas refuser parce qu’il est mon filleul !
Marc concrétise les idées qu’il a en tête, il bricole sans arrêt. On a matérialisé certaines idées qui m’ont traversé la tête. Marc a envie de réaliser chaque idée qu’il a et comme il se retrouve un peu seul il les met en oeuvre un peu n’importe comment. Peu importe la manière dont il les réalise, il lui faut les faire exister dans le monde réel sinon « On n’est pas un homme ». Comme quand il dit « On n’est pas un homme tant qu’on n’a pas fabriqué une chaise ». C’est complètement idiot mais c’est ce que je pensais dans ma tête à ce moment-là.
Pour le tournage du livre des solutions vous retournez dans les Cévennes, les lieux de votre enfance dans cette maison qui est un vrai personnage du récit. Etait-il absolument nécessaire pour vous de retourner dans ce décor-là avec tout ce qu’il implique autour ? Ce luxe s’est présenté à moi et me paraissait évident parce qu’il s’agit d’une action qui s’est passée huit ans avant et que je reproduis de manière assez précise. Si je n’avais pas ce décor j’aurais cherché partout des choses qui y ressemblaient. Et comme je l’avais il m’a paru logique de l’investir. Il m’a aussi permis d’avoir en tête tous les endroits, tous les décors, tous les chemins et les routes qui étaient nécessaires pour raconter l’histoire et de les utiliser. C’était une expérience assez unique, surtout que je retournais dans la maison pour la première fois depuis la mort de ma tante. Comme j’étais professionnellement dans cet endroit, cela m’a permis de me le réapproprier d’une manière sereine. Mais quand on a fait les scènes dans sa chambre, j’ai malgré tout eu un petit pincement au coeur, ce n’était pas facile. D’un coté pratique c’était évident et en plus de ça, cette maison je la connais depuis tout petit, je sais de quelle couleur sont les murs, elle contient beaucoup de bois. Quand on tourne dans un endroit inconnu on a toujours un bout de mur, une peinture, quelque chose qui vient vous embêter et qu’il faut changer. Là où que l’on regarde c’était ma maison et c’était beau. Mais c’est vrai qu’au début quand j’ai vu des rushes ou parfois quand je regarde le film, il y a un certain décalage entre les acteurs qui ne sont pas les vrais personnages et le décor qui lui est vrai. Mais on s’habitue très vite. En tous cas en tant que spectateur vous ne le remarquez pas.
Quel est le matériel essentiel pour créer selon vous? Un jour j’étais dans un aéroport, j’avais trois heures à tuer. J’avais juste une feuille de papier et un stylo. J’ai essayé d’écrire une lettre à ma copine en marche arrière. « Embrasse, t, je, tard, plus ». Cela m’a pris trois heures et elle n’est pas parvenue à comprendre ce que je voulais dire. Quand on a un papier et un crayon tout est possible. Je pense à ces scènes de prison quand les gens n’ont qu’un bout de papier, un tout petit bout de crayon. C’est incroyable pour eux d’avoir ça. J’y pense toujours pour comprendre la chance que j’ai d’avoir tous les outils.
A propos d’outils, les ciseaux sont partout dans le film. Max le renard a des ciseaux, le maire coupe lors de l’inauguration, également au salon de coiffure, un peu comme dans Edward Scissorhands. Je fais beaucoup de films pour ma fille en papier découpé. Exactement comme le petit dessin animé que l’on voit au milieu du film. Je suis constamment en train d’utiliser des ciseaux et de découper du papier. J’ai des heures, des nuits, des mois et des années de ciseaux. Je peux vous dire que les meilleurs ce sont les Scotchs que l’on trouve dans les supermarchés en Amérique. On m’a offert beaucoup de ciseaux pour me faire plaisir. Cela ne sert à rien, j’utilise toujours les mêmes qui sont les meilleurs pour découper.
Marc ne parvient pas à regarder son film. Il n’arrive pas à aller au montage. Le montage c’est aussi le fait de couper dans le récit. Couper les scènes au montage, c’est difficile mais nécessaire. Il faut se faire violence parce qu’au départ le film est malade et ne ressemble à rien. Certaines scènes sont géniales et on les adore, mais si on les enlève et que l’histoire fonctionne il faut les couper. Françoise Lebrun en dehors d’être une actrice géniale a fait une réflexion sur deux scènes que l’on devrait couper une fois que le film était complètement terminé. Je lui ai dit qu’on ne pouvait pas. J’ai quand même essayé et elle avait raison.
Mais c’est difficile? C’est difficile mais ma monteuse et moi sommes comme un bloc, nous ne sommes jamais en désaccord plus de deux secondes. Soit elle se rallie à mon idée soit je me rallie à la sienne, soit on a la même. Il n’y a jamais de friction. En revanche tous les producteurs et les distributeurs ont des idées vraiment différentes. Alors là il faut jongler. Le distributeur voulait que l’on coupe la scène où Marc a en tête de coucher avec sa tante. J’ai essayé d’expliquer que s’il ne passe pas par ce moment de crise il n’y a aucun tournant, il n’y a pas d’articulation avec sa chute. Il faut qu’il aille au plus loin, au plus absurde pour expliquer qu’il parte et se retrouve au fond du trou. Et il a fallu se battre. On s’est engueulé à propos de ça. Il pensait que le spectateur n’accepterait pas cette scène. Une femme assise à coté de lui, très intelligente, a trouvé sa porte de sortie parce qu’il ne pouvait plus reculer après ce qu’il avait dit. Elle a suggéré «Si Marc se regarde dans la glace plus longtemps on sentira qu’il a déraillé et on saura que lui le sait. On ne voit donc pas ça comme un acte d’inceste grossier mais comme une réalisation de sa folie ». Grâce à la réflexion de cette femme le distributeur a reculé et on a gardé la scène. Sinon on ne racontait pas l’histoire. Il y a des choses qu’il faut couper et d’autres que l’on ne peut pas couper. Le montage il est là. Et on n’est pas tout seul non plus.
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Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles 2023.