Leurs enfants après eux, une fougueuse fresque générationnelle de Ludovic et Zoran Boukherma, coup de coeur!

Ludovic et Zoran Boukherma signent Leurs enfants après eux un récit enlevé et poétique sur l’adolescence, son urgence de vivre et sa cruauté. Ils transposent au cinéma le roman éponyme de Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018 dont ils réussissent une poignante adaptation. Ils donnent vie d’une manière très belle aux adolescents de papier d’une région sinistrée de l’Est de la France le temps de plusieurs étés. Le quatrième long métrage des cinéastes après Teddy, se fait tour à tour drame social, tragédie et romance. Ils magnifient la vie de ces adolescents à l’écran en les parant de toute la fougue et de l’insouciance de la jeunesse. Le film était présenté à la Mostra de Venise où Paul Kircher a remporté le Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune acteur. A lire aussi: Entretien avec les frères Boukherma.

Août 1992. Une vallée perdue dans l’Est de la France. Heillange, cité désindustrialisée où les hauts fourneaux ne brûlent plus. A quatorze ans, Anthony s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac il rencontre Stéphanie. C’est le coup de foudre. Le soir même il emprunte la moto de son père en espérant la rejoindre à une soirée. Le lendemain la moto a disparu et la vie d’Anthony bascule.

La vie de ces jeunes s’ancre dans les années 90 au sein une région sinistrée par la désindustrialisation, avec les drames familiaux et l’urgence de se construire pour les ados. Six étés de cette bande de jeunes, mais surtout pour Anthony, qui tombe amoureux de Stéphanie, Angélina Woreth dès leur première rencontre sur un ponton. Oeil fermé, la moitié du visage abîmé, boucles dans les yeux et démarche déguingandée, Paul Kircher crève l’écran dans le rôle d’Anthony, cet ado qui semble trop grand, timide et embarrassé avec les filles. L’acteur nous éblouit une nouvelle fois après Le Règne Animal, tant il est émouvant dans ce rôle et vient incarner en tant qu’être en transformation le thème du monstre cher aux cinéastes. Ludivine Sagnier interprète sa mère, complice et terrorisée par un père violent joué lui aussi avec beaucoup de justesse par Gilles Lellouche.
Tous ces êtres sont liés par une région industrielle désaffectée. La mise en scène montre autant les corps déglingués par le travail à l’usine que les familles désincarnées. Chez Anthony comme Hacine la souffrance, la pauvreté, le manque de travail sont cruels. Le règlement de compte chez Hacine est aussi violent, voire plus que chez Anthony. La région est envisagée dans l’étroitesse d’une vallée avec des protagonistes qui s’y ancrent religieusement et profondément. Une région de l’intérim et des contrats précaires que les plus riches quitteront un jour. Stéphanie rêve de partir à Paris tandis qu’Anthony rêve d’Amériques. Hacine, Sayyid El Alami, lui, paiera son retour au bled mais les années forgeront les têtes et les êtres jusqu’à les suivre dans l’âge adulte.

Le film est profondément ancré dans les années 90, en témoignent les décors et objets comme les cabines téléphoniques, les cassettes audio, les mobylettes conduites sans casque mais aussi les tubes entêtants de ces années-là. La musique originale est composée par Amaury Chabauty compagnon de route des cinéastes. Si le film s’affiche comme un drame social et politique, les cinéastes effectuent une perçée dans le film de genre qui leur est cher. La relation conflictuelle entre Hacine et Anthony est envisagée comme un western, comme cet affrontement façon Sergio Leone le long d’une rangée de garages dans une cité.

Cette très belle comédie dramatique transpire la vie avec une jeunesse qui fonce irrémédiablement vers son destin. Cette fiction poignante témoigne aussi d’une époque, d’une jeunesse issue des classes ouvrières post industrie dans l’Est de la France. Un film déjà culte.