Rabia de Mareike Engelhardt, une fiction choc qui décrypte l’embrigadement sectaire

4c

La cinéaste allemande Mareike Engelhardt signe Rabia, un drame puissant sur un sujet inédit au cinéma depuis dix ans, celui de jeunes filles occidentales parties en Syrie en 2014 rejoindre l’état islamique pour se marier. Sur un scénario inspiré de faits réels co-écrit avec Samuel Doux et une solide documentation, la réalisatrice décrypte minutieusement les mécanismes de l’embrigadement qui vont conduire les destinées de ces personnages. Rabia est une oeuvre particulière, sa puissance fictionnelle relève presque du documentaire tant elle regorge de vérité. Elle a décroché le Prix de la fiction la plus dérangeante au Ramdam festival. A lire aussi: entretien avec la cinéaste Mareike Engelhardt.

Jessica, 19 ans, travaille comme auxiliaire de vie. Avec son amie Laïla, elles ont toutes deux décidé de tout plaquer pour une vie meilleure. La blancheur des nuages ensoleillées du hublot de leur avion leur annonce le début du rêve tant espéré. S’élever dans une autre vie que celle où elle se donnent de la peine sans vraiment de reconnaissance. Le mythe prend place. L’aventure, la vraie vie. Les deux amies ont décidé de rejoindre l’état islamique à Raqqa pour se marier et vivre une vie meilleure. Ce ne sera pas tout à fait ce qui les attend. Ces nuages ensoleillés seront peu à peu remplacés par une brume épaisse.

Mareike Engelhardt fait appel à deux formidables actrices pour interpréter ces personnages aux fortes personnalités. La jeune Megan Northam (Robuste, Les passagers de la nuit, série Salade Grecque) interprète Jessica face à Madame, Lubna Azabal. Comment le casting pouvait-il être plus juste ? Les deux comédiennes livrent une puissance de jeu impressionnante et s’emparent viscéralement de leurs rôles. Natacha Krief (La nuit se traine) n’est pas en reste et campe quant à elle Laïla, l’amie de Jessica.

Au fil d’un scénario implacable la cinéaste décortique les mécanismes de l’embrigadement. Elle montre l’industrialisation du traitement des jeunes filles dans ce qui rappelle de sombres heures de l’histoire mondiale. A leur arrivée, dans un processus de dépersonnalisation de masse elles sont évaluées, dépossédées de leurs maigres biens pour effacer la moindre trace de leur vie d’avant. Tout cela dans un discours doucereux où l’on joue sur la naïveté de ces êtres vulnérables. Jessica a tout quitté parce qu’elle ne se sentait pas respectée. « T’as même pas eu ton diplôme d’infirmière ! » lui assénera Madame. Celle qui la renommera « Oum Rabia », la rage, trouve peu à peu la faille de la jeune femme et la casse psychologiquement.

Mareike Engelhardt décrypte le parcours psychologique glaçant façon montagnes russes vécu par Jessica. En vrai gourou, Madame souffle l’air chaud, puis le froid dans une manipulation savamment orchestrée. Le mythe du prince charmant s’effondrera définitivement devant la notion de viol généralisé puisqu’il s’agira de la récompense du mari. Lors de son entretien avec celui qui sera son futur époux, Jessica s’entendra poser des questions lunaires, « Tu sais faire à manger ? Tu veux combien d’enfants ? ». « Je la prends » Lancera-t’il, tandis qu’il sera conseillé à la jeune femme lors de sa rencontre avec lui d’être « douce, souriante, gentille ». Jessica va se heurter à sa propre réalité. Au fait de ne pas vouloir d’enfant, « Vous avez le monde dans vos ventres » et de souhaiter rester libre dans un monde où l’on demande aux femmes de donner leur progéniture par amour pour « faire perdurer la oumma ». Dans une trajectoire assez incroyable et psychologiquement effrayante, la pieuse Jessica convertie à l’Islam, se relèvera pour survivre dans cet enfer programmé de destruction de masse des jeunes femmes.
La cinéaste installe ce drame dans le décor labyrinthique d’un bâtiment désaffecté immense, sombre et sale. Les gourous comme Madame justifient toujours leurs discours et leurs actes par la supposée volonté de Dieu sans prendre en compte leur propre responsabilité d’humain. De victime Jessica deviendra fanatique dépourvue de tout sentiment et reproduira le rôle de ses bourreaux.

Ses racines allemandes ont conduit la cinéaste à chercher à lever les zones d’ombre sur sa propre famille, à comprendre comment des gens peuvent rejoindre et adhérer aux idées d’une organisation totalitaire et sectaire comme Daesh ou le Nazisme. Cette fiction étonne, secoue, provoque souvent l’incompréhension, provoque le dialogue et amène la réflexion. Un premier long métrage coup de poing nécessaire qui marque.