Aïcha de Mehdi M. Barsaoui, la liberté de haute lutte

Après l’implacable Un Fils qui a valu le prix de la meilleure interprétation masculine en section Orizzonti à l’acteur Sami Bouajila au festival de Venise 2019, Mehdi M. Barsaoui récidive avec Aïcha, un thriller de haute voltige qui suit comme personnage central une trentenaire dans la Tunisie actuelle. Aïcha est un passionnant destin de femme qui s’inscrit dans un contexte économique et politique contemporain. Comme dans son premier long métrage, le cinéaste allie avec brio le thriller avec un regard politique et sociétal sur son pays, qui éclaire le genre d’un point de vue singulier. L’émotion est à coup sûr au rendez-vous de ce palpitant thriller qui a également été présenté en première mondiale à la Mostra. A lire aussi: entretien avec Mehdi M. Barsaoui.

Aya vit coincée dans une vie morne et sans perspective à Tozeur, au sud de la Tunisie. Seule survivante d’un accident, la jeune femme décide de se réinventer une nouvelle vie à Tunis, mais les choses ne vont pas se révéler aussi simples pour la trentenaire.

Fatma Sfar interprète brillamment cette jeune femme, sorte de caméléon qui se métamorphosera selon le lieu où elle se rendra dans un subtil plan scénaristique. Les psychoses du pays transformeront ce personnage au fur et à mesure de son parcours. Au bled sa position est figée, totalement dépendante de sa famille, de son travail et de son amant, tandis qu’à Tunis, en colocation, la liberté et les sorties s’offriront à elle, encouragée par sa réconfortante colocataire Lobna, Yasmine Dimassi qui l’accueillera les bras ouverts.

L’évolution chaotique du personnage dans ce récit initiatique est impressionnante. Aya navigue à vue dans un pays schizophrène multiforme rongé par la corruption. Quelque soit son rôle, fille soumise par sa condition sociale aux diktats religieux et traditionnels de sa famille, à son amant et vouée à son travail dans un hôtel situé à des heures de route de sa ville d’origine, ou celui d’une femme amie avec une colocataire doctorante qui sort à l’envie, libre et indépendante, une menace pèsera toujours sur elle en tant que femme seule. La résilience guidera cette femme admirable en proie à une jungle sociétale dans laquelle elle plongera malgré elle. Culpabilisation et coup de pression s’accumuleront sur elle dans une société où la condition des femmes s’entrechoque en deux mondes que tout oppose. Tozeur et Tunis sont aux antipodes. D’un côté la vie sans perspective et de l’autre la liberté de la capitale, Tunis et ses lumières enivrantes. Elle rencontrera sur sa route Farès, flic froid et désabusé, interprété par le célèbre acteur tunisien Nidhal Saadi.

Outre l’aspect sociétal passionnant, l’émotion du récit vient également de l’abnégation du personnage, notamment par rapport à ses proches. Aya a des choix extrêmement difficiles à faire qu’elle assumera courageusement quitte à mettre en péril la relation avec sa famille.

Critique et entretien avec Mehdi M.Barsaoui pour Un Fils.