
Connu pour ses implacables thrillers comme Seules les bêtes ou La nuit du 12 (lauréat de 6 Césars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur), Dominik Moll signe Dossier 137, un thriller policier et politique dont le scénario co-écrit avec Gilles Marchand envisage frontalement l’histoire de France contemporaine. Cette fiction basée sur des faits réels témoigne des événements qui se sont déroulés au début du mouvement des gilets jaunes en 2018. Des faits qui n’avaient pas encore été portés en fiction au cinéma. Dossier 137 était en Compétition Officielle au 78e Festival de Cannes. A lire aussi : entretien avec Dominik Moll.
Stéphanie est enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Le dossier 137 pourrait être un numéro de plus dans sa pile de dossiers, sauf qu’un jeune homme, Guillaume 20 ans, Côme Peronnet, a été grièvement blessé par un tir de LBD lors d’une manifestation tendue de gilets jaunes à Paris. Les circonstances des faits doivent être éclaircis et quelque chose trouble l’enquêtrice.
Léa Drucker mène ce thriller avec un jeu maîtrisé toujours parfaitement juste. Son rôle d’enquêtrice est celui d’une justicière des temps modernes. Stéphanie raconte elle-même qu’elle espère ne pas seulement se définir uniquement par son métier mais aussi en étant une bonne mère, une bonne copine et réclame sa multiplicité.
Autour d’elle l’équipe de l’IGPN est parfaitement castée avec des individus discrets mais efficaces, Benoit, Jonathan Turnbull, Carole, Mathilde Roehrich, Marc, Pascal Sangla, Valérie Claire Bodson. Stéphanie va procéder dans son enquête par petites touches minutieuses, pas à pas.
Sur la base d’une fameuse documentation sur l’IGPN et le fonctionnement des polices, le cinéaste reconstruit l’enquête de la même manière, plan par plan, en utilisant différents médias. Il exploite ainsi les images des téléphones portables des uns et des autres pour reconstituer les bribes des événements passés. Les entretiens provoqués par Stéphanie avec les directeurs des différentes unités de la police sont à la hauteur de l’excellent face à face de Garde à vue de Claude Miller avec des indices nombreux et incalculables, disséminés de ci de là dans le réel.
La force du récit est celle de la puissance du réel et de rappeler des événements qui n’ont pas encore été analysés par la société française. Nombreux sont ceux qui ont été gravement blessés lors de ces manifestations par des flashballs et ici, c’est la vie du jeune Guillaume qui bascule. Dominik Moll revient aussi sur le mouvement des gilets jaunes. Il montre également qui faisait réellement partie de ces manifestations. La famille Girard dont Joëlle la mère, Sandra Colombo, est aide-soignante à Saint-Dizier, n’est ni politisée, ni gilet jaune. Ces provinciaux sont montés à Paris, l’occasion pour eux d’une journée de tourisme en famille dans la capitale en allant manifester. Ils sont simplement venus crier leur ras-le-bol face aux fins de mois difficiles et soutenir les services publics, espérant obtenir un meilleur pouvoir d’achat.
Une séquence très émouvante au début du film reprend en photos les manifestations qui ont eu lieu cette année-là. Les images sont fortes et la musique orchestrale. Symbole de la République Française, l’Arc de Triomphe se dresse en arrière-plan, tandis qu’à son socle la violence fait rage entre policiers et manifestants. Cette séquence annonce la figure du film.
Dominik Moll respecte l’équilibre des points de vue entre flics et victimes sans aucun manichéisme. La situation était telle que le gouvernement était en panique, comme le précisent les directeurs des antennes de police alors appelés en renfort. Paris est devenue une jungle urbaine pour tous, manifestants et policiers. Car si les uns étaient moins armés, des flics en civil à qui l’on a ordonné d’empêcher les pillages ont dû se procurer leur matériel eux-mêmes… chez Décathlon. Des ordres dans tous les sens et des policiers mal formés. Une jungle de violences d’hommes contre des hommes qui est forcément sujette au dépassement des règles et c’est ce que démontre le pertinent film de Dominik Moll.