« La Bonne Epouse », une comédie grandiose de Martin Provost

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Fallait-il un homme, Martin Provost, pour réaliser La Bonne Epouse, une comédie jouissive qui revient sur la bienséance imposée aux femmes avant 1968 ? Le récit prend place en Alsace dans une institution ménagère. Les personnages y sont grandiloquents et un terrible trio de femmes gère l’établissement. La Directrice Paulette Van der Beck – modèle de femme parfaite – fabuleuse Juliette Binoche métamorphosée, coupe carrée, guindée dans un petit tailleur rose années 60 affiche un sourire toujours radieux. Sa belle-sœur Gilberte, interprétée par Yolande Moreau tout en longs cheveux blonds et en robes froufrouteuses, enseigne la cuisine aux perles que seront les futures maitresses de maison. La terrifiante Marie-Thérèse Noémie Lvovsky, Sœur marâtre clope au bec n’hésite pas à sortir le fusil en cas de souci. « L’homme des lieux » est le mari de Paulette, Robert, François Berléand, qui possède l’institution. Il est souvent cité en exemple, les élèves lui préparent avec attention son plat préféré… Dans ce contexte, une horde de femmes à ses pieds, l’homme accède franchement au statut divin.  

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Avec son côté carte postale intemporelle l’Alsace est un endroit judicieusement choisi, éloigné de Paris et de la révolte soixante-huitarde qui y gronde. Mais les élèves ne sont pas dupes et les jeunes filles se trouvent tiraillées entre l’extérieur et un avenir dédié à un mari qu’elle ne choisiront pas. Car en ce temps-là l’amour ne fait pas loi. Et la directrice cite donc les « piliers » de la bonne ménagère qui bien sûr, est avant tout « la Compagne de son mari » et doit faire des tâches ménagères une abnégation totale. Elle abordera « le triste devoir conjugal » sur le même ton.

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La Bonne Epouse est joliment filmé, très esthétique et joyeux à la fois. On entre dans le récit par les nuques des personnages qui se préparent pour la rentrée. Un coup de brosse, un collier passé autour du cou… La musique participe magistralement au récit également, lorsque Gilberte danse seule dans sa chambre, fan de « Tombe la neige » d’Adamo.

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Les personnages nous émeuvent en balbutiant pour tracer maladroitement le chemin de leur émancipation. Le séduisant André Grunval, Edouard Baer, subtilisera les coeurs en haut de la banque nationale d’Alsace, là où l’on gère les comptes en banque, grand moment d’une émotion folle. Quel saut dans l’inconnu d’entrer dans une banque, d’entrevoir la possibilité de posséder un chéquier, comme en témoigneront le sourire de Paulette et les yeux ronds-écarquillés de Gilberte.

Cette comédie lumineuse constitue une très bonne fiction tout en témoignant d’une époque. 52 ans en arrière, c’est proche. Martin Provost rend un très bel hommage à ces générations de femmes, grand-mères, arrières grand-mères qui ont dû oublier leurs rêves pour se fondre dans le moule sociétal et servir l’Homme (qui travaille, possède les droits y compris sur sa femme). Le cinéaste vise très juste en évoquant l’historique de la condition féminine et par là même les bases des inégalités hommes-femmes contemporaines avec beaucoup d’humour. Une comédie jouissive.