Adam Bessa marquait l’Ouverture de la 63ème Semaine de la Critique du Festival de Cannes en mai dernier. L’acteur franco-tunisien navigue entre des productions internationales comme la série Hanna, des longs métrages, Les Bienheureux de Sofia Djama en 2017, ou Harka de Lotfy Nathan pour lequel il remportait le prix de la meilleure performance Un Certain regard au Festival de Cannes 2022. Adam Bessa est de retour dans son sud natal. Ce fascinant autodidacte en a parcouru du chemin depuis sa ville de Grasse, lui qui confie venir d’un milieu où « l’on doit avant tout gagner sa vie » car « suivre ses rêves vient ensuite ». Si l’acteur épate par son talent, l’homme émeut par son élégance et sa profonde humanité. La rencontre a lieu sur une plage de la Croisette après l’avoir découvert dans son dernier très puissant rôle dans le thriller psychologique Les Fantômes ( Ghost Trail) de Jonathan Millet, où il interprète Hamid, Un mystérieux réfugié syrien aux prises avec ses traumas.
Comment avez-vous rencontré Jonathan Millet ? J’ai adoré le scénario du film dont mon agent m’avait parlé. Nous nous sommes rencontrés avec Jonathan Millet six mois avant le tournage. Il m’a expliqué sa vision des choses et ce qu’il désirait au niveau du personnage. Le projet était très séduisant.
Qu’est-ce qui vous attirait dans ce projet ? C’était moderne d’une certaine manière et très intelligent. Jonathan est un homme brillant qui pose des questions actuelles essentielles. J’aime le fait que le film comporte beaucoup de offs. Il parle de Syrie nous ne la voyons jamais, il parle de torture on n’en voit pas. Il évoque beaucoup de choses sans jamais les montrer, en évitant tout voyeurisme et sans victimisation tout en provoquant la réflexion, en étant très imaginatif. C’est un film sur les sensations. Il évite ainsi le voyeurisme qui peut mener à la vulgarité. J’aimais aussi la dureté du sujet et l’élégance avec laquelle Jonathan Millet voulait le traiter. C’était un bon objet cinématographique.
Comment avez-vous préparé le rôle ? La préparation a duré trois ou quatre mois. Nous avons rassemblé beaucoup d’informations. Jonathan m’a montré des documentaires sur les prisons syriennes, sur ces gens et leurs missions secrètes. J’ai ensuite pu débuter mon travail en m’informant au sujet des traumatismes de guerre, des traumas post-traumatiques, psychologiques et physiques. Et j’ai commencé à créer le personnage petit à petit. Il possède différentes couches pragmatiques. Le scénario en raconte déjà beaucoup sur le jeu du personnage. Ses traumas physiologiques agissent sur son corps, sur sa manière de marcher. Je devais trouver cette physicalité et cet état d’esprit. Il me fallait comprendre aussi la relation qu’il entretient avec son passé. La manière dont son passé le hante et le degré psychologique que cela provoque chez lui. Il fallait travailler sur la paranoïa, sur le syndrome de dépersonnalisation dont il souffre. Ce sentiment de ne plus exister qu’il ressent. C’était très complexe à comprendre. J’ai lu beaucoup d’histoires très différentes qui ne se rapportaient pas au film, de gens qui en souffraient pour voir comment je pouvais l’incorporer dans le film d’une manière délicate, vraie et honnête. Et essayer de le faire ressentir au public plus que de le lui faire comprendre. Envisager les bons choix représentait beaucoup de travail, j’ai abandonné de nombreuses options. Grâce au temps que nous avions pour préparer, la composition du personnage s’est améliorée. Au fil du temps certains éléments sont restés et j’ai compris qu’ils constituaient la base du personnage. On a ensuite plongé dans le tournage en étant concentrés du début à la fin. Mon personnage allait être pratiquement de tous les plans. C’est un coup de pression pour un acteur, vous avez peur d’ennuyer le public, de ne pas le faire voyager. C’était un challenge, je devais offrir au public l’expérience la plus intense, à la fois vraie et sensible. Et je suis très content du travail qui a été fait sur le son. Je devais laisser suffisamment d’espace à la partie sonore du film. On a travaillé ensemble sur les intentions qu’il fallait que je donne et à quel point, pour trouver le bon équilibre. La manière dont Jonathan allait filmer était très importante pour moi. Quand j’ai su qu’il allait utiliser de la machinerie, faire des travellings avec des Dollys dans des mouvements extrêmement lents, j’ai compris que le temps était primordial dans le rythme du film. Tout est une question de distance. Il s’agissait de jouer ensemble, comme pour la musique de Jazz, de se sentir l’un l’autre. Même si Jonathan avait un film très précis en tête j’étais la personne la plus instinctive sur le plateau qui essayait toujours de trouver le moyen le plus organique pour rassembler les éléments ensemble. J’étais très focus énergiquement à essayer de trouver cet équilibre sans jamais m’en éloigner. Je ne voulais pas jouer une performance. Tout est écrit pour réaliser une performance mais ç’aurait été une grave erreur.
Votre jeu est très minimaliste dans ce film…. Le minimalisme était un choix qui embrassait et portait le film. Il fallait toujours avoir cette énergie en soi comme un volcan, les choses vous remuent à l’intérieur, et je voulais presque que les gens ressentent mes pensées comme un dialogue.

Le personnage d’Hamid me fait penser à celui joué par Alain Delon dans Le Samouraï, l’avez-vous vu ? Je l’ai vu il y a longtemps, Melville est un réalisateur que j’adore. Je n’aime pas parler de références, je regarde peu de films. J’en ai vu beaucoup par le passé mais quand je travaille je n’en regarde jamais. Je me rappelle de ce film comme un vrai film de genre. Créer ce type de film emblématique était un challenge. J’adore ce film. J’y pensais parfois en marchant. J’aime l’idée de pouvoir créer ce sentiment magique que nous aimons au cinéma, cette ambiance. Le sujet est très social, politique, on ne peut pas l’oublier et juste plonger dans le genre. Cela pouvait être bien pour le film de lui donner une touche d’éternité et de modernité, de pouvoir l’expérimenter comme un thriller, un pur film d’espionnage. La paranoïa est un personnage du film à part entière j’adore ça. La scène avec Tawfeek (Barhom ndlr) en est le climax.
Vous est-il difficile d’abandonner un rôle après un film ? Chaque personnage reste un peu avec vous. Habituellement il faut un mois, un mois et demi pour vraiment le laisser partir. Oui, il reste avec moi et je l’accepte. Ma femme pas tant que ça ! C’est parfois un peu difficile en famille mais cela fait partie du travail. J’ai des astuces pour revenir à la vie de manière douce. On joue avec des choses réelles, il faut veiller à être bienveillant envers soi-même à ce moment précis, c’est vrai.
Vous avez remporté un prix au Festival de Cannes en 2022 pour votre interprétation dans le film Harka, que ressentez-vous en revenant ici? J’adore. Le festival de Cannes est une grande plate-forme pour les films comme celui-là. C’est une petite bulle préservée dans laquelle on peut parler du film, le considérer et l’expérimenter pour ce qu’il est. Cela l’aide à avoir des armes avant d’être lancé dans le dangereux monde de l’industrie et de l’argent. C’est vraiment bien. Ici vous avez la chance de rencontrer des gens de tous les pays du monde. J’adore avoir des retours qui viennent de différents endroits. En tant qu’acteur on ne sait jamais comment le film va être perçu. Vous êtes parfois tellement captivé que vous pouvez perdre un peu le sens de la réalité. Cela m’aide à voir ce qui a été créé avec le temps. Les gens vous montrent beaucoup d’amour tout en ayant une vraie attente. C’est réconfortant d’être de nouveau ici et de dire « Voilà ce sur quoi j’ai travaillé dites-moi si vous l’aimez ». C’est comme une relation que nous avons créée avec les journalistes, avec le public et c’est vraiment bien de revenir à ce rendez-vous à Cannes. « C’est comme ça que vous voyez les choses ? Ok ». Une œuvre d’art devrait résonner avec son époque, c’est important. Quand je ressens qu’il y a une résonance je suis heureux, c’est pour ça que je viens ici.
Comment avez-vous évolué en tant qu’artiste après ce film, pensez-vous que quelque chose a changé ? Chaque film me fait changer et constitue une nouvelle pierre de plus. J’essaie de prendre des risques à chaque fois et d’explorer de nouveaux horizons. Ce film s’inscrit dans une continuité de travail où il s’agit d’apprendre à se faire confiance. Etre capable de ressentir la vision de quelqu’un et lui faire confiance. Il s’agit de plonger, faire confiance et toujours s’améliorer. Le travail consistant à être capable de se plonger dans un personnage devient de plus en plus précis et étend mes capacités, comme apprendre une langue, pour celui-ci j’ai appris le syrien. Et être capable de porter un film du début à la fin.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Festival de Cannes 2024.