Maldoror de Fabrice du Welz, Stupeur et tremblement d’un état face aux bas-fonds de l’humanité

Il est toujours très délicat d’interpréter l’histoire réelle en fiction, surtout quand elle a été le grand trauma d’un pays, la Belgique. Librement inspiré de l’affaire Dutroux dans la décennie 90, Maldoror est une fiction courageuse qu’il est difficile d’aborder de manière anodine. Elle se regarde d’abord avec méfiance, puis le cinéaste livre au spectateur son interprétation des faits et transforme en un thriller poisseux cette histoire sordide menée par un casting pointu et notamment Anthony Bajon qui crève l’écran. Maldoror est la fictionnalisation d’un réel sordide qui, sans l’extraire de l’horreur, revient sur des personnages atypiques et souligne les défaillances d’un état.

Belgique 1995. La disparition inquiétante de jeunes filles défraie la chronique et les médias. Le gendarme Paul Chartier rejoint l’opération secrète Maldoror dédiée à la surveillance d’un suspect récidiviste. Confronté aux dysfonctionnements policiers le jeune idéaliste se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession.

Du Welz s’entoure d’un casting très juste. Anthony Bajon est un jeune flic efficace plein d’espoir qui croit en la justice. Sa jeune épouse Alba Gaïa Bellugi est issue d’une famille sicilienne avec ses traditions, chères à l’univers de Charleroi. Luis Catano Alexis Manenti collègue flic comme Laurent Lucas sont sur le dossier Maldoror. Sergi Lopez, Lubna Azabal, David Murgia viennent compléter cet éventail de protagonistes tous plus étonnants les uns que les autres.

Le cinéaste pose le contexte de l’histoire dès le départ. En 1995 la réforme de fusion des polices avance vers un regroupement des différents services en une police fédérale. Les trois polices ne communiquent plus entre elles. Face à la volonté et l’obsession du personnage principal à résoudre cette affaire et retrouver les filles enlevées, le cinéaste oppose une lourdeur administrative fatale. La responsabilité de l’état, des polices, des tribunaux qui ont laissé le temps s’écouler. Disséminées de ci de là, Les preuves jalonnent le récit (le vélo de fillette chez le suspect).
Si Fabrice du Welz maitrise parfaitement l’esthétique cinématographique, son cinéma pêche parfois un peu côté scénario. Ici le récit est rythmé, palpitant, inquiétant et la Direction photo (Manu Dacosse) épouse son sujet. Il plante le décor de cet excellent thriller à sa source dans la région de Charleroi et replonge dans les années 90 avec une esthétique de l’époque. On retrouve l’imprécision de l’analogique avec une image vieillie ce qui confère au récit une réalité certaine.

Cette fiction revient sur des faits douloureux, le trauma d’un pays pour interroger sa mémoire tout en questionnant le réel. Le travail du cinéaste est bienvenu et nécessaire si l’on évoque les zones restées floues comme l’évasion de Marc Dutroux lors d’un transfert 23 avril 1998. En s’emparant de cette histoire hautement politique réenvisagée en thriller, Fabrice Du Welz signe son meilleur film. Il y questionne la notion de démocratie. Les personnages pourraient-ils faire justice eux-même quand l’appareil d’état ne suit pas ?