Le Bleu du Caftan de Maryam Touzani, des liens amoureux sous le velours…

Le Bleu du Caftan est un drame subtil réalisé par Maryam Touzani (Adam) qui nous emmène dans la Médina de Salé au Maroc pour y observer les émouvants personnages d’une boutique d’artisans à l’origine de la création du caftan traditionnel. Ce drame romantique est d’une modernité absolue. La cinéaste pose un regard singulier empreint de tolérance et d’amour qui s’intéresse à la vérité et à la pureté des faits. Le film a décroché le Prix Fipresci (Prix de la Critique Internationale) au dernier Festival de Cannes.

Dès le générique une étoffe bleutée irradie l’écran de sa lumière changeante. Halim est Maalem (en arabe «le maître, « celui qui sait »). Avec Mina, sa femme, ils s’occupent d’une boutique d’artisanat dans la Médina de Salé. Le ténébreux Halim confectionne les caftans traditionnels tandis que Mina gère la boutique. Le couple, marié depuis longtemps profite d’une vie paisible. La maladie de Mina et l’arrivée de Youssef, un jeune apprenti vont bouleverser l’équilibre du quotidien.

La puissance du jeu des acteurs donne le ton de ce drame intimiste et délicat de la plus belle des manières car ici la cinéaste revient à l’essentiel, à la matière, le tissu brut et son origine. La mise en scène discrète aux lumières subtiles propose de beaux personnages et laisse toute liberté à l’interprétation des acteurs qui nourrit le récit. L’étonnante Lubna Azabal (Incendies, Rebel, Adam) interprète avec passion Mina, cette femme forte frappée par la maladie. Très arrangeante, Mina assure la vente avec beaucoup de diplomatie face à une clientèle rechigneuse. Saleh Bakri campe avec pudeur son mari, cet artisan réservé doué de ses mains. Ayoub Missioui campe lui ce jeune apprenti qui souhaite apprendre la couture traditionnelle auprès de ses pères.

Maryam Touzani réalise un film engagé. Elle établit le bilan d’un mariage que l’on suppose arrangé entre les deux protagonistes principaux et l’homosexualité cachée de l’homme. Elle révèle l’intelligence des protagonistes, notamment de cette femme extraordinaire qui aime l’autre pour ce qu’il est. Elle montre ce qu’est le véritable amour pour l’autre dans l’attitude pleine de dignité de Mina. La cinéaste a l’audace de mettre en scène la réalité d’une situation, un rapport d’entente au sein d’un mariage arrangé par la société et sa réalité, ce qu’il cache et implique. Un discours terriblement moderne au sein de cette boutique traditionnelle et de ces personnages ancrés dans les traditions.
La cinéaste porte également un regard presque sociologique sur la disparition de l’artisanat marocain et ses traditions. « Plus personne ne veut apprendre le métier », regrette Mina. Le film fait état de ce qu’il reste de tradition, d’amour du travail bien fait, de la qualité et de la vitesse insensée de notre société. L’impatiente et intraitable clientèle exige un caftan réalisé dans les meilleurs délais, sans percevoir ce que représente la qualité du fait main et se dit prête à le faire confectionner par des machines. « Moi je paie pour ce travail » s’exclamera l’une des clientes. « Mon mari est un Maalem pas une machine, il travaille à son rythme » répliquera Mina. Le film oppose l’amour du travail fait main de qualité à celui, incomparable, des machines, qui satisfait aujourd’hui des clients aveuglés par la vitesse de fabrication, occultant ainsi le sort d’artisans dépassés par cette modernité mortifère.

« Un caftan doit pouvoir survivre à celle qui le porte, passer de mère en fille » voilà ce que dévoile Maryam Touzani dans ce Caftan bleu, drame sensible, profond et subtil. Les fils de l’histoire se devinent assez bien au fur et à mesure du récit, c’est peut-être la limite de ce scénario qui implique une certaine lenteur narrative, mais le film est sans conteste une émouvante ode a la vie et à l’amour.