Un Silence de Joachim Lafosse, une fiction époustouflante sur la déconstruction du mal

Fiction inspirée de réel à la mise en scène époustouflante, Un Silence traduit un drame familial de manière très juste tout en flirtant constamment avec l’abstraction. Le spectateur se laisse doucement aspirer dans l’énigme du dernier long métrage de Joachim Lafosse, un thriller psychologique magistral qui compte sur la force du hors-champ. La caméra est toujours judicieusement placée pour laisser l’histoire se dérouler. Une oeuvre exceptionnellement vraie, créée avec beaucoup de retenue et de pudeur, basée sur l’histoire de l’avocat Victor Hissel dans les années 1980. Son sujet est difficile, la pédophilie, l’inceste et ses conséquences atomiques en chaine, effleuré jusqu’à l’abstraction. Le film a décroché le Prix du meilleur réalisateur au festival de Rome.
A lire aussi : Entretien avec Joachim Lafosse.

Le fils d’Astrid Schaar a disparu. Son époux, l’avocat François Schaar travaille sans relâche sur une affaire difficile. Enfermés dans leur maison de maître cernée par les médias, la famille vit difficilement ces moments où le métier du père pèse lourdement sur la vie quotidienne. Le cinéaste se concentre sur le personnage de la mère, Astrid Schaar incarnée tout en sensibilité par Emmanuelle Devos. Le point de vue central est celui de cette mère de famille, personnage déterminant capable de faire basculer l’histoire. Elle est la clé d’une narration qu’elle-même s’auto-construit tout en équilibre dans sa vie. Femme intéressante qui va de l’avant sans se retourner ou dans l’impossibilité de le faire. Accaparé par la lourdeur de son travail, François Schaar, Daniel Auteuil, est un homme plutôt fermé. Leur fils Raphaël post-ado, Matthieu Galoux, est quant à lui en plein questionnement.

Joachim Lafosse déconstruit formidablement la mécanique d’un drame familial et ses non-dits avec un regard vrai franc et pudique qui tend à l’abstraction. Un Silence constitue une énigme dont le spectateur n’a pas les clés et propose une double dimension. On entre dans un thriller psychologique où le cinéaste lâche des bribes, des indices au spectateur pour recoller les morceaux de l’histoire et comprendre ce qui se joue, qui sont les personnages. Ce traitement de mise en scène est phénoménal. Le spectateur est baladé et saisit ce qu’il peut des faits qui se dévoilent peu à peu et jamais tout à fait, car il faut de la pudeur pour approcher le thème de l’inceste. Lafosse use ainsi du hors-champ`de manière centrale, c’est donc au spectateur de rassembler les morceaux du puzzle qui lui sont donnés.
La deuxième dimension, plus abstraite, tend vers l’abstraction et flirte avec le fantastique. Elle suggère un récit passé presque palpable entre les murs de la maison de maître familiale et réveille des fantômes. Cette maison-personnage avec piscine entourée d’un parc à l’apparence bourgeoise est le théâtre d’un drame. Elle est filmée comme un tableau dans l’ombre des clairs-obscurs. Prison des protagonistes elle est aussi l’antre du monstre, celui que l’on soupçonnera mais dont on n’approchera aucunement la psyché. Car dans cette maison à l’obscurité constante le récit deviendra psychanalytique. Comme ce plan qui suppose un questionnement de la part du spectateur ou, filmée comme un tableau, la caméra s’attardera sur la chambre, évocation muette de possibles faits passés.

Le point de vue du cinéaste sur cette histoire dramatique est extrêmement bien choisi. On ne sait qui est le monstre et où il nous emmènera. Avec ces personnages impuissants Lafosse frôle les bas-fonds de l’âme humaine pour nous faire réfléchir sur la tectonique des plaques familiales et leurs abîmes. Un thriller psychologique et onirique brillantissime.

Entretien avec Joachim Lafosse pour Les Intranquilles