Ailleurs si j’y suis de François Pirot, Reset dans le lagon bleu

Après son précédent long métrage de fiction Mobile Home, François Pirot poursuit son exploration des questions existentielles liée à la mobilité dans une comédie philosophique audacieuse et drôle, Ailleurs si j’y suis. On salue l’audace du cinéaste qui ose plonger ses personnages dans un monde à l’opposé de leur (ou notre) vie moderne trépidante. Une expérience sociétale en somme. Dire stop. Voici ce que tente François Pirot dans cette fiction furieusement belge dont on appréciera la douce ironie.
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Chef de chantier coincé sous son casque jaune autant que par ses obligations, Mathieu, la cinquantaine sous pression est un homme en crise. Il va tenter d’échapper à sa vie et à ses devoirs. Un refuge : la forêt, au risque de déséquilibrer tout un monde, construit en une vie.

Jérémie Renier, moustachu, livre une prestation parfaite dans ce personnage à la double personnalité. Il assombrit ou illumine l’écran comme rarement un rôle lui aura permis de le faire. A sa suite, les protagonistes vont pour la plupart suivre la fuite en avant de ce chef de chantier, celui d’un reset généralisé de leurs vies. La patiente épouse de Mathieu, Catherine, Suzanne Clément (Mommy de Xavier Dolan), atteint l’incompréhension totale face au comportement irrationnel de son mari. A elle aussi parviendront des envies de yoga et de terres inconnues. Le voisin et pote Stéphane, Samir Guesmi, soliloque avec ses rêves de voyage. Le père, Jackie Berroyer, touchant de solitude, ne veut embêter personne tout en travaillant minutieusement à l’exact opposé. Guy, le chef de Mathieu, hilarant Jean-Luc Bideau, le considère comme son fils, en patron qui s’assume, à la fois ripou et désenchanté.

Cette comédie ose le constat de ce qu’il reste d’humanité, de nourriture spirituelle dans la réalisation d’une vie, après ce qui pourrait être le succès, la réalisation de soi. Le cinéaste donne un bon coup de pied dans la vie bien rangée des personnages. Celle où le quotidien domine l’agenda. Quid de la vie quand le travail est toujours le même, que l’on est installé dans ses habitudes, que l’on a réalisé maintes choses (Mathieu a construit sa sublime et lumineuse villa lumineuse à l’orée des bois) ? Quel est le déclic qui pousserait un personnage au retour à la nature ? Des rêves de jeunesse inassouvis (son voisin les lui rappelle avec ses rêves de voyage) ?

François Pirot met en scène un fabuleux contraste entre deux mondes. Un monde agressif, rapide, face à un paradis imaginaire. Mathieu a le courage de dire stop à ce qui, pour la plupart des protagonistes relève du fantasme. La forêt contamine les personnages. Elle est filmée par le cinéaste comme un espace de paix et de bien être qui crée une sorte de reset chez les humains qui s’y lovent soudainement rompant le rythme d’une vie trop trépidante. Le cinéaste convoque l’imagerie naïve des paradis perdus. La forêt devient un lieu idyllique, à l’image de ce lagon bleu (plutôt rare dans nos contrées), aux doux sons d’oiseaux, de musique bienheureuse. Un univers fantasmé filmé en 4/3 alors que le monde réel est quant à lui envisagé en version large, en cinémascope. On craint parfois que le sujet ne s’essouffle tant il repose sur une idée centrale mais le film ne manque pas d’humour et d’un jouissif second degré. On flirte avec le surréalisme, cinéma belge oblige. On retiendra l’originalité de ce récit atypique et bienvenu qui explose les codes.