
Émouvante séance qui ouvrait en mai dernier la Compétition Officielle du 75e Festival de Cannes. Six années déjà que Kirill Serebrennikov assigné à résidence en Russie, n’avait pu accompagner ses films projetés à Cannes comme Leto en 2018. Il aura fallu la guerre en Ukraine, l’exode du cinéaste qui vit désormais à Berlin pour le voir présenter La femme de Tchaïkovski sur la Croisette, un drame puissant qui n’a sans doute pas eu toute l’attention qu’il méritait. Le cinéaste russe réalise un biopic, le destin d’une femme dans l’ombre de l’histoire du grand compositeur Tchaïkovski et dévoile l’homosexualité de ce dernier.
La femme de Tchaïkovski présente la rencontre de la belle, jeune et passionnée Antonina Milioukova avec le célèbre compositeur Piotr Ilich Tchaïkovski jusqu’à ce qu’elle devienne son épouse et le mariage qui en découlera. Alyona Mikhailova prête brillamment la finesse de ses traits à cette femme passionnée qui ne renoncera jamais à son amour. Odin Lund Biron incarne face à elle le charismatique Tchaïkovski. L’acteur américain qui parle couramment le russe collabore régulièrement avec le cinéaste et metteur en scène.
Le drame se mue peu à peu en thriller psychologique entre ces deux êtres, dont l’un aime et l’autre pas. La mise en scène est virtuose. Kirill Serebrennikov met en scène cette histoire dont l’image présente un magnifique rapport à la peinture. Les plans sont beaux et le son est un ravissement. Chaque instrument résonne comme s’il avait été enregistré séparément des autres. Le cinéaste traduit l’enfermement d’une façon brillante, en format large. Dans les tons froids du film rôde un soleil rasant, persistant, venu de l’extérieur qui magnifie les intérieurs. Si le soleil est visiblement représentatif du personnage de Tchaïkovski qui règne sur sa cour tel le Roi Soleil (impossible de ne pas se brûler à côté d’un tel soleil), Alyona sa femme, est lumineuse dans ses jeunes années. Elle est indépendante, déterminée, un vrai personnage de femme à la fois dramatique et excessif. Elle mettra tout en oeuvre pour épouser le compositeur mais elle se révélera également un être borné, proche de la folie, qui ne renoncera jamais à son amour.
Si le film est féministe, il montre avant tout deux protagonistes coincés dans leur condition de l’époque, l’enfermement et le manque de droits humains qui régnaient dans l’organisation de cette société (et la présente?) à la fois pour les femmes et les homosexuels. Serebrennikov dévoile ce mariage des années 1870. Il s’agit clairement d’un arrangement où la belle jeune femme propose sa forêt, sa dot et une petite maison agréable à vivre à la campagne au compositeur, empêché par des dettes. Aveuglément amoureuse, Alyona est une femme et en conséquence dépend d’un homme. Sans lui elle n’est rien. Tchaïkovski est lui homosexuel dans une société où c’est interdit. Il s’intègre dans les lois sociétales en se mariant. Kirill Serebrennikov revisite un portrait au vitriol de la vie de Tchaïkovski tout en expliquant la complexité de cette union impossible à une époque où les convenances s’opposaient au réel.