Nadège Loiseau signe une comédie singulière qui explose les clichés avec panache. Le petit locataire est une comédie sur la grossesse d’une femme de 49 ans, magistralement interprétée par Karin Viard, au ton fantaisiste et inédit. Un drame raconté avec humour, une patte de réalisatrice affirmée, des couleurs qui survivent au film dans la mémoire du spectateur… Bref, un premier film réussi pour cette jeune femme qui surprend tant elle ressemble à son film. Nadège Loiseau est énergique, avenante, souriante, colorée (t-shirt jaune) et semble ravie de donner ses interviews. Elle choisira de poser devant des papillons encadrés. Logique, pour cette fan de Peau d’âne qui ose une scène hommage à Jacques Demy montrant karin Viard cuisinant en robe de princesse rose dans sa cuisine. Magique.
Ce premier film au sujet si original a-t-il été difficile à produire?
Le film est une comédie sur un sujet dont on n’a pas l’habitude de parler de cette manière au cinéma et ça n’a pas été simple pour mes producteurs de trouver les financements. J’ai senti en découvrant le monde du cinéma qu’il fallait se battre et que cela n’était pas simple pour un film qui parle de maternité et qui a un petit penchant féminin. Mais on l’a fait à l’énergie.
Le sujet, sur une femme qui aurait un enfant à 49 ans constituait un problème ?
C’était surtout ça mais aussi le fait que le film repose sur une actrice. Dieu sait si elle est brillante et identifiée, mais je me souviens qu’au moment de monter le film, ça n’était pas un argument suffisamment lourd.
Karin Viard était-elle prévue pour le rôle de Nicole dès le début ?
Quand j’ai commencé à écrire, j’écrivais surtout pour me faire plaisir, j’avais conscience qu’il y avait de grandes chances pour que le film ne se fasse pas. Je retrouvais le plaisir de construire une histoire comme on fait quand on est gosse. J’ai mis trois ans pour écrire et c’est vrai que la dernière année c’est devenu une évidence. Karin Viard est une actrice que j’adore depuis toujours. En écrivant, je me suis rendu compte qu’à part elle, je ne voyais pas grand monde pour camper ce personnage. A tel point qu’au bout du compte, je n’avais pas de plan B. Ce qui était magique, c’est qu’elle est venue tout de suite, elle avait lu le scénario en trois jours et a demandé à me rencontrer. On s’est plus et elle a dit oui. C’est un petit film, le budget est très réduit. Elle la première a fait beaucoup d’efforts pour pouvoir faire ce film. Mais une fois qu’elle était là, je me sentais bien plus forte ! (rires).
Comment avez-vous choisis les autres comédiens ?
Quand Karin est venue sur le projet, elle m’a tout de suite parlé de Philippe Reboot. En lisant, elle l’avait imaginé dans le personnage du père. Philippe faisait partie de mon casting mais dans un autre rôle. Il a accepté tout de suite. Le personnage de Mamilette présentait beaucoup d’enjeux. C’est à priori très compliqué de trouver une actrice d’accord pour jouer ce personnage. Quand le nom d’Hélène Vincent est venu je me suis dit que c’était évident. Je suis une enfant qui a été bercée par La vie est un long fleuve tranquille, cela résonnait en moi. Elle a beaucoup composé pour faire ce personnage. Elle a pris quinze ans, changé sa façon de parler, sa façon de se mouvoir et elle a accepté de vieillir pour le rôle. C’était aussi un cadeau magnifique. Mon Québécois (Antoine Bertrand Ndlr), je l’avais vu dans Starbuck (de Ken Scott ndlr). La jeune génération, je l’ai découverte en casting. Certains sont déjà beaucoup connus en France pour avoir fait beaucoup de TV.
Le scénario a été écrit à six mains, comment s’est passée l’écriture?
J’ai écrit seule pendant trois ans. Ma dernière version de scénario était beaucoup trop longue. Sylvie Pialat (productrice ndlr) a proposé de me faire rencontrer Fanny Burdino et Mazarine Pingeot qui sont arrivées sur les deux derniers mois avec pour mission de m’aider à identifier ce qui servait l’histoire et ce qui n’était là que pour me faire plaisir.
Concernant la direction d’acteurs, avez-vous suivi l’écrit ou laissé un peu de liberté aux acteurs ?
C’est le texte qui prime. Certaines répliques sont essentielles, on ne peut s’en passer. Mais j’ai évolué. Au début du tournage j’étais très directive et très à cheval sur le tempo. Ils sont arrivés en ayant parfaitement compris leur personnage car on en avait beaucoup parlé et je les ai laissé prendre les personnages. Parfois, je les ai laissé proposer dans un certain cadre, mais sur un tournage comme ça, de comédie budgétairement serré, on ne peut pas se permettre de laisser libre court à l’impro.
J’ai réécrit tout le long du tournage parce qu’en les découvrant, en travaillant avec eux, j’ai voulu réécrire des scènes. La scène de vernis avec Mamilette et Arielle est tombée la veille par exemple. Ils ont été très souples. Un comédien doit connaitre tout son texte, certains avaient beaucoup anticipé et je changeais jusqu’au bout. On a travaillé en souplesse.
Votre film est gai est très coloré, pouvez-vous nous en parler ?
Cela ne se voit pas trop aujourd’hui (regardant ses vêtements), mais je vis en couleur.
Si, quand même, votre T-shirt jaune ! (rires)
La couleur pour moi c’est fondamental. Je ne vois pas les tons très nuancés. Le film a été tourné en automne à Chambéry entre les montagnes, au moment du changement d’heure. Avec mon chef opérateur, on avait une grande inquiétude sur la lumière. J’ai dit à ma costumière que les couleurs et la lumière, nous allions les amener nous-mêmes par les costumes. Pour les scènes clés, on a finalement eu de la lumière. Je craignais que cela ne soit trop. Et finalement non, car c’est sûrement mon mode d’expression, c’est revendiqué, cela ne fait pas semblant.
A propos de costume, cette fameuse scène où Karin Viard cuisine en robe de princesse dans sa cuisine évoque Peau d’âne, c’est ça ?
Oui, elle est sublime ! (rires). C’est un vrai clin d’œil à Jacques Demy. Enfant, j’ai beaucoup regardé ses films. Je ne voyais pas à quel point il parlait de sujets graves. Tout au long de ma vie j’y ai découvert à chaque fois un nouveau message, un nouveau regard, une émotion différente avec ces couleurs, cette direction artistique extrêmement forte. Bien sûr, cela n’est pas la réalité et pourtant on y trouve un écho. L’idée d’avoir une Peau d’âne 2.0 avec un mixeur me faisait beaucoup rire !
Karin Viard et son collègue déjeunent paisiblement sur l’herbe en pleine nature. Quand ils se lèvent on s’aperçoit qu’ils sont au péage de l’autoroute. Les plans de nature constituent-ils des respirations ?
Ce sont de petites respirations, en effet. J’avais envie de montagnes. Mon décor devait être aussi fort que Nicole. Nicole travaille à son péage. Un péage, c’est toujours au milieu de « rien », de la nature telle que l’on peut la voir quand on est sur l’autoroute. Je ne peux pas l’expliquer fondamentalement, mais la nature a été très importante au moment des repérages, il fallait trouver le bon endroit, le bon dosage entre ce que cette famille avait de citadin ou pas. Elle vit à distance des grandes villes. Nicole doit traverser les champs pour aller bosser. Elle y va à pied parce qu’elle n’est pas véhiculée, ça me permet aussi de mettre ses pieds dans la boue parce que Nicole est terrienne. Il y a un rapport à la vraie vie.
Nicole gère le foyer et finalement dès qu’elle ne peut plus assurer et qu’elle se retrouve à l’hôpital, son mari se débrouille…
Des Nicole il y en a partout. Le souci de faire entrer trois journées en une c’est un souci particulièrement féminin qui arrange bien les hommes, mais du coup, c’est aussi une interrogation sur la place qu’on prend, la place qu’ils prennent, la place que l’on veut bien leur laisser.
Votre film est une ode à la femme, Il questionne ce que l’on se transmet ou pas, de génération en génération…
C’est presque une femme à travers tous les âges. C’est un film qui parle du rapport de la mère à son enfant, du rapport des générations. Comment on est avec sa fille? Comment on est avec sa petite-fille ? Comment les générations se comprennent en en sautant toujours une ? C’est un film qui parle de relation en miroir, d’ailleurs les miroirs sont très présents dans le film parce que toutes ces femmes se construisent en miroir par rapport à la génération du dessus. Toutes à un moment donné ne veulent pas ressembler à leur propre mère et pourtant j’ai l’impression que finalement il existe un lien depuis la petite Zoé jusqu’à Mamilette. C’est une ode à la femme d’abord dans ma démarche. C’est une comédie qui se base principalement sur des femmes et qui offre la part belle aux comédiennes et pourvu que les femmes s’y retrouvent. A aucun moment le film n’est féministe dans le sens où il n’est pas guerrier. Il est volontaire, besogneux mais dans le sens noble du terme. Il n’est pas revendicateur.
Vous avez des projets ?
Pour rester dans le thème, je suis vraiment en train d’accoucher de mon premier film, je vais déjà m’occuper de celui-là. J’ai envie de raconter d’autres histoires mais il faudra que ce soit pour les bonnes raisons, une histoire qui m’anime autant que celle-là. Faire un film, je m’en rends compte, c’est trois ou quatre années entièrement dédiées à ça. Pendant un an et demi je me suis entièrement consacrée au film, il est temps que je retrouve mes enfants.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Novembre 2016.
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