« C’est une histoire de pardon » Jakob Cedergren évoque son rôle intense dans The Guilty

Né en Suède, élevé au Danemark, Jakob Cedergren remportait en 2009 le Prix du Meilleur Acteur pour son rôle dans Terribly Happy de Henrik Ruben Genz, salué d’un même élan par la Critique et l’Académie Danoise. Son choix se porte souvent sur des rôles assez radicaux de personnages charismatiques et écorchés. On retiendra sa collaboration avec le réalisateur Thomas Vinterberg (Festen) pour Submarino. Le comédien a aussi joué au théâtre et dans des séries comme Meurtres à Sandhamn. Avec The Guilty, premier long métrage de Gustav Möller, l’acteur prend une vraie prise de risque. Il devient le protagoniste principal d’une intrigue qui repose sur son jeu, puisque toute l’histoire du film se déroule hors champ, par téléphone, un vrai défi pour le comédien. The Guilty a remporté le Prix du Public à Sundance, à Rotterdam et celui de la Critique au Festival du Film Policier de Beaunes. Il repart du BRIFF avec ceux de la RTBF et de BeTV.

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Stéphanie Lannoy : Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario de The Guilty ?
Jakob Cedergren : Il n’était pas tout à fait terminé lorsque je l’ai lu mais j’ai beaucoup aimé. Gustav (Möller, réalisateur ndlr) voulait, d’une certaine manière, que les acteurs prennent une part dans sa finition, à cause de la nature même du projet centré sur un personnage. La dernière version était vraiment excellente et j’étais très excité par le projet.

Pourquoi vous lancer dans un premier long métrage aussi original et risqué d’un jeune réalisateur ? Je n’y ai pas réfléchi, le scénario était stupéfiant et j’aimais beaucoup le personnage. Après le casting j’ai rencontré Gustav qui voulait que je fasse le film. Nous avons discuté. Je n’ai jamais douté. Que pouvait-il m’arriver ?
Quand Gustav et Emil (Nygaard Albertsen, co-scénariste) m’ont expliqué comment ils allaient le développer j’étais encore plus intéressé, car ils l’ont construit à partir de recherches. L’idée vient au départ d’un clip sur youtube, un appel « 911 » d’une femme kidnappée provenant des Etats-Unis. Gustav s’est mis à réfléchir au fait de créer des images en entendant juste ce qui se passait au son. Il s’est dit que cela serait un très bon concept pour un film. Emil et lui ont alors commencé à se documenter sans savoir ce que serait l’histoire. Ils sont allés à un centre d’urgence 911 où ils ont découvert des éléments intéressants. Ils se sont ensuite rendus dans un autre centre et ainsi de suite. Ils ont commencé ce travail sans aucune intention précise. Garder cette idée ouverte sans savoir ce qu’elle allait devenir était simplement brillant. C’est comme cela qu’ils ont petit à petit construit tout le film.

Comment avez-vous préparé le rôle du policier Asger Holm ? Lorsque je les ai rencontrés, Gustav et Emil avaient déjà fait toutes ces recherches. J’ai pu en bénéficier, les assimiler et parvenir au même niveau de connaissances. Il s’agissait alors de rencontrer des gens qui vivaient la même situation qu’Asger. C’était très difficile, car de nombreuses personnes dans cette position n’ont pas très envie de parler. Je suis parvenu à me rapprocher de quelques-unes qui se sont montrées extrêmement généreuses. Cette performance leur doit beaucoup.

Ce rôle était-il un challenge pour vous ? Absolument. J’étais prêt à me lancer, mais avant ça, j’avais besoin de rencontrer quelqu’un qui connaissait le même état que le personnage. On peut lire et discuter autant que l’on souhaite mais à un moment, j’avais besoin que mon corps fasse lui-même aussi les recherches. J’ai déjà testé cela plusieurs fois et lorsque vous rencontrez les bonnes personnes, quelque chose se produit. C’était aussi un challenge de jouer tout le temps à un haut niveau d’intensité.

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Dans ce film Asger connait un échec. Il accomplit son dernier jour au centre d’urgence. Dans Submarino aussi, Nick connait un événement précis qui va le mettre en échec… Cela relève peut-être d’une technique narrative qui fait que ce trauma unique est toujours une métaphore pour un être. Les recherches consistaient d’abord à trouver des officiers de police ayant expérimenté des événements traumatisants. Comme s’ils essayaient de savoir qui était « cette personne-là ». Il est apparu que les policiers n’étaient pas les seuls concernés, cela pouvait aussi être un docteur, n’importe qui, qui travaille dans un milieu où la vie et la mort sont en jeu. Tout le monde n’est pas capable de faire face à ces situations, c’est très dur. Et vous ne le savez pas tant que vous n’y êtes pas confronté. Dans l’histoire, j’aime que ce gars ait les meilleures intentions du monde, mais qu’il échoue parce qu’il est juste lui-même. Et il doit se battre pour l’accepter. C’est une histoire de pardon, de compassion et même plus que ça. Rencontrer ces gens a vraiment été essentiel. Cela a apporté du sens et j’espère que d’une certaine manière, ils ont été entendus. Dans Submarino les deux frères ont eu une vie très difficile. Et cela n’est pas leur faute non plus, c’est comme ça. Par-delà ces histoires c’est aussi du divertissement (rires). Ici le sujet traite de personnes au départ, il ne s’agit pas de réaliser un thriller avec du « super-suspens ». C’est un mélange de ces éléments, mais l’essentiel réside vraiment dans les personnages.

Comment s’est passé le tournage ? Il était court et intense ! 13 jours et nous avions préparé environ 6 mois.

Vous avez beaucoup répété ? Non, j’ai seulement rencontré quelques fois le comédien qui jouait Rashid (Omar Shargawi ndlr), parce que nous étions supposés être copains. Pour le reste, nous avons juste fait une lecture car nous voulions être le plus spontanés possible. Il fallait lâcher prise.

Avez-vous joué en réel avec Jessica Dinnege qui interprète la voix d’ Iben, la victime, au téléphone ? Nous avons tout joué en live. Les coups de téléphone étaient en direct et les autres comédiens se situaient dans le couloir. Le jeu avec Jessica a été tourné en même temps. Cela devait se passer comme cela sinon la connexion n’aurait pas pu se faire. Des éléments sonores ont ensuite été ajoutés, mais en général ils ont gardé les prises de jeu pour conserver l’intensité et l’authenticité de l’action. Nous avons tourné chronologiquement en 8 blocs de 8 à 36 min.

Etait-ce plus simple pour vous de tourner les scènes dans l’ordre chronologique ? Oui, de longues prises c’est bien pour un acteur, comme au théâtre, vous avez le temps de rentrer dans l’histoire. Quand on tourne chronologiquement vous n’essayez presque jamais de jouer avant la prise. Cela crée du sens. Gustav a tout agencé brillamment et a donné à tout le monde une totale liberté.

Pouviez-vous faire des propositions ? oui, nous avons aussi improvisé, c’était vraiment agréable. Là où je me sens le mieux c’est dans la liberté artistique. On a pu le faire car on était vraiment bien préparés. Nous avons étudié le scénario mot par mot pour être vraiment sûrs que nous n’oubliions rien, que nous étions dans le bon.

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Le réalisateur joue sur une forte échelle de plans, la caméra est placée à de nombreux endroits différents… Nous avons tourné avec 3 caméras. Gustav et Jasper (Spanning, Directeur Photo ndlr) – qui a aussi fait un travail fantastique – ont aussi planifié les mouvements pour mieux les filmer. De fait il y a eu beaucoup de matière au montage. Carla Luffe, la monteuse, a fait un travail fabuleux. A chaque étape du film le talent déployé est énorme. Oskar (Skriver, Sound Designer) a ensuite a travaillé sur le son. Ils ont commencé à ajouter de la musique et d’autres éléments. Le principe ensuite consistait à toujours enlever de la matière. Quand Carla a commencé le montage elle a dû aussi ôter des éléments car le film contenait beaucoup d’informations inutiles. D’une certaine manière elle a écrit le scénario final.

La bande son est impressionnante, comme un récit parallèle à celui de l’image… C’est un point de repère supplémentaire pour le spectateur.  A côté de mon visage, de mes réactions, le son raconte aussi où l’on est, quand c’est calme, les accélérations et les ralentis, c’est très subtil. Oskar a essayé différentes solutions, divers sons, tout en ayant une liberté totale.

Qu’avez-vous ressenti en découvrant le film ? C’était à Sundance. La première vision est toujours compliquée. C’était un an plus tard, il fallait que je m’y replonge, du temps avait passé. Ce qui frappe c’est que tout est rapide par rapport au tournage. Le montage implique que les choses se déroulent très vite. A Sundance, c’était fantastique grâce au public. C’était tout ce qu’on espérait. C’était émouvant aussi car tout le monde voulait faire quelque chose de grand, et sentir les gens conquis, c’était vraiment beau.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Juin 2018, BRIFF, Bruxelles

The Guilty, La critique