« J’aimerais avoir l’occasion de jouer un personnage sans foi ni loi » Entretien avec Tahar Rahim pour son dernier film, Le Secret de la chambre noire de Kiyoshi Kurosawa

Tahar Rahim, acteur aux multiples vies particulièrement marqué par Un prophète de Jacques Audiard, est de passage à Bruxelles pour la présentation de son dernier film, Le Secret de la chambre noire du japonais Kiyoshi Kurosawa. Une première expérience dans un film fantastique pour ce césarisé qui souhaite renouveler son aventure avec le film de genre vers lequel il est attiré. On souhaite que ses désirs se réalisent et espérons le voir très bientôt interpréter le rôle d’un méchant impossible à détester.

Stéphanie Lannoy : Qu’est-ce qui vous a amené sur ce projet ?

Tahar Rahim : J’avais croisé Kiyoshi kurosawa pendant le Festival du Film Asiatique de Deauville en 2012. Quelques années plus tard, j’ai reçu et lu son scénario mais l’envie de travailler avec lui primait sur le reste. Ses films sont toujours particuliers, étranges, maitrisés. Il a une sincérité et une honnêteté qui lui sont propres, une belle singularité et un univers que je n’aurais pas la chance de retrouver, c’est très rare !

La réflexion sur la photographie, sur la vérité, ça vous touchait ?

Le daguerréotype est très particulier. Tout l’historique qui l’entoure, les gens qui venaient photographier leurs morts pour garder un peu de leur âme, tous ceux qui croyaient au fait que cette boite un peu bizarre vous capturait une partie de votre âme sur une plaque, pas sur un négatif, c’est fascinant.

En lisant le scénario perceviez-vous déjà cette sensibilité qui émane du film ?

Il y a bien l’histoire, mais ces choses se situent tellement dans la façon de filmer, dans le son, dans les décors, dans les costumes, qu’on ne le sent pas à la lecture. Je pense que c’est même impossible à décrire, cela ferait 250 pages et serait ennuyeux.

Comment avez-vous ressenti la tonalité qu’allait prendre le récit à l’écran?

Je connaissais bien le cinéma de Kiyoshi et je me projetais déjà sur l’humeur dans laquelle ça allait être tourné. La traduction du scénario a été un peu trop directe et il a fallu repenser deux ou trois choses. Surtout le rapport qui peut exister entre un chef et son employé qui n’est absolument pas le même ici qu’au Japon. C’est un truc que j’avais du mal à maîtriser. On a beaucoup discuté avec Kiyoshi et nous avons finalement trouvé.

Comment avez-vous préparé le personnage de Jean ?

C’est la première fois que je ne m’identifie pas du tout à un personnage. C’est propre au projet en lui-même. Kiyoshi a totalement conscience que c’est la première fois qu’il réalise un film à l’étranger et se dit peut-être que le public ne le connait pas. Il construit son film autour d’un personnage qui est quelqu’un de vide et que la contamination va remplir de différents éléments qui correspondent à son œuvre en général. Cela va lui donner une personnalité, une trajectoire et faire en sorte qu’il se développe. Jean est quelqu’un qui se fait contaminer. C’est pour cela qu’il n’y a aucun élément de son passé, rien…

Jean n’avait pas de profil psychologique à la base ?

Non. C’est un réceptacle vide qui va se faire contaminer. C’est vraiment ça.

Comment s’est passée la direction d’acteur?

L’univers de Kiyoshi, son film, son récit, ne se passent pas que devant la caméra. C’est un procédé très particulier qui englobe tout le tournage et toute l’équipe. Ce en quoi il a foi et croit, l’invisible, la frontière entre les deux, le fait qu’invisible et visible ont la même forme mais n’ont pas les mêmes lois physiques, cela se passe aussi sur le plateau. Il va nous donner des directions et il a envie de voir le personnage apparaître.

Pouviez-vous faire des propositions ?

On est libre de proposer des choses dans un cadre initialement donné avec un texte écrit mais en même temps, c’est très délicat parce que c’est un genre de film très particulier. On ne va pas s’amuser à proposer tout ce qu’on veut comme dans d’autres films parce qu’en tant que personnage on est aussi un élément du décor.

Dans le film il y a aussi le thème de la pollution avec ces produits photographiques déversés…

Le cinéma de Kiyoshi est très inscrit dans ce thème qu’est la contamination. C’est aussi dû au grand nombre de catastrophes que le Japon a pu subir. De nombreux cinéastes qui sont de la génération d’après Hiroshima et Nagasaki ont construit leur cinéma sur un Japon qui devait renaître de ses cendres, mais traumatisé par les catastrophes chimiques et naturelles, je pense que cela vient de là.

Cette serre finalement, on a l’impression qu’on lui aspire son énergie…

Elle crève au fur et à mesure. Et la maison est un personnage principal. Pour moi c’est ça le virus.

Le manoir qui grince avec ses portes qui s’ouvrent sans raison insufflent une ambiance étrange et angoissante. Est-ce que ce décor vous aide à jouer ?

Quel que soit le film, j’ai besoin du décor, de sentir quel effet il va me faire. Et là, ça aide beaucoup. Tout d’un coup on sait, on comprend. Quand on a vu ses films on sait toujours un peu comment il va faire. Après, c’est un lieu particulier ce manoir, il y a des manoirs qui sont un peu plus chaleureux ! (rires).

Jean, assistant photo, se retrouve à placer Marie dans la délicate position du Daguerréotype…

Jean faisait son travail et en même temps c’est un être humain, il commençait à sentir la souffrance de Marie, mais n’avait pas conscience du mal qui était provoqué par son propre père, il ne réalise pas à ce moment-là.

Constance Rousseau a un physique un peu à l’ancienne…

Kiyoshi ne l’a pas choisi par hasard, quand elle met la robe elle se transporte vraiment au temps de l’époque. Elle a quelque chose d’intemporel. Elle a aussi cette peau diaphane qui fait qu’on peut dessiner dessus.

L’univers fantastique, les fantômes, cela vous attirait ?

Au cinéma, carrément !

Vous ne jouez pas souvent dans ce genre de film…

Mais quand ? Même dans l’univers français il n’y en a pas. Ca relève plus de la mythologie japonaise, africaine et américaine aussi, en tous cas dans le cinéma, mais c’est un tout autre genre, c’est toujours un peu flippant. Chez Kiyoshi c’est très fin.

Dans votre carrière avec quel metteur en scène avez-vous préféré travailler et pourquoi?

Avec Jacques (Audiard, Un prophète Ndlr) parce que c’était un film et une aventure formidable, un réalisateur avec qui je rêvais de travailler. Dans ce genre là il est le meilleur. Asghar Farhadi (Le passé ndlr) est un immense metteur en scène et scénariste. Il a une façon d’attirer toute la tension et le suspens d’un thriller dans des histoires sociales. J’ai du mal à trouver un autre cinéaste qui sache faire ça. Garth Davis (Marie-madeleine ndlr), a quelque-chose d’extrêmement spirituel. J’ai aimé travailler avec beaucoup de réalisateurs, Eric et Olivier (Samba ndlr), Katell Quillévéré (Réparer les vivants ndlr).

Quel est le rôle que vous aimeriez interpréter aujourd’hui ?

J’aimerais avoir l’occasion de jouer un personnage sans foi ni loi, faire en sorte que le spectateur aime détester quelqu’un. Mais ça appartient à une autre mythologie de cinéma, qui est en Asie ou aux Etats-Unis. Dans House of Cards par exemple, le héros est un mec détestable, il est ce qu’il y a de plus pourri dans l’homme. Et vous adorez le regarder, il vous plaît. Si je prends cet exemple-ci c’est pour pouvoir faire le contre-poids et ne pas penser que c’est simplement une histoire de genre, ou celui de Daniel Day-Lewis dans There will be blood. Ce type de personnes qui ont connu une grosse mythologie, une hauteur, une ampleur et en même temps qui ont perdu leur vergogne, qui n’ont plus de morale. C’est tellement loin de moi que ça m’intéresserait vraiment de pouvoir jouer ça. Pour le coup vous avez le droit d’avoir plus de couleurs.

Des projets ?

J’ai tourné Marie-Madeleine de Garth Davis (Lion). Puis un film avec Roschdy Zem et Maïwen, Un vrai Bâtard de Teddy Lussi-Modeste (Jimmy Rivière) sur l’histoire d’un jeune artiste de stand-up. Et je vais bientôt faire une série aux Etats-Unis réalisée par Alex Gibney (Going Clear, Steve Jobs, We steal secrets : The story of wikileaks) dans laquelle j’interpréterai un ancien agent du FBI.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, Février 2017.

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Entretien avec Kiyoshi Kurosawa pour Before we vanish