Quand on serre la main d’un grand barbu d’Europacorp habillé tout en noir, les choses prennent tout de suite une tournure sérieuse. « J’ai l’impression de vivre la vie de Macron » s’excuse de son léger retard Fabrice Eboué, en s’asseyant. « Et c’est bien ? », plaisante-t-on. « Ce n’est pas mon boulot, je n’ai pas signé pour ça », sourit-il, affairé. Il apparaît comme on l’attend : ouvert, poli et extrêmement sympathique. On soupçonne un grand bosseur derrière le personnage. Humoriste, acteur, scénariste et réalisateur, Coexister est sa 3e comédie, réussie et très humaniste. Un vrai feel good movie avec 3 religieux : un imam, un prêtre et un rabbin, qui vont monter un boys band. Rock’n roll.
Stéphanie Lannoy : D’où vient le projet du film ?
Fabrice Eboué : Je cherchais un nouveau scénario et j’ai découvert un clip des Prêtres Chanteurs sur YouTube. C’est drôle, emphatique et exagéré. Je regarde tous leurs clips, au moins 34 à l’époque, je découvre leur histoire, qu’ils ont vendu un million d’albums. Je me dis qu’il y a peut-être une histoire à raconter, d’autant que l’un des trois prêtres, séminariste, arrête la vocation pour se marier à l’issue de cette tournée.
L’idée d’emmener des religieux sur le terrain du show biz vous séduisait ? Un prêtre est censé représenter la sagesse, l’humilité, alors qu’une rockstar représente plutôt les excès, c’est aux antipodes. Je commence donc à écrire le scénario avec trois prêtres, et je me dis rapidement que les histoires se ressemblent trop. On vit dans une société multiculturelle, on nous parle en permanence de ces trois religions monothéistes. L’évidence était là, non seulement on allait avoir une différence entre les personnages, mais pouvoir ajouter du débat et du conflit nécessaires à une comédie.
Qu’est-ce qui a participé à la pertinence de votre récit selon vous ? Parfois ce sont de petits détails. Dans la scène ou Ramzy boit de l’alcool sur un banc et que l’un s’exclame « Que ce type ne soit pas vraiment imam, c’est quand même la meilleure nouvelle pour l’islam ! ». Ramzy m’a dit que si cette phrase ne figurait pas dans le film, il ne le faisait pas. Ce regard était important pour moi. Jonathan a insisté pour que lorsqu’ils vont rechercher Guillaume sur le banc, il enlève la kippa. Moi-même je ne veux plus de symboles religieux à ce moment-là, je veux voir des potes, une histoire d’amitié, d’amour.
Le film va bien au -delà de la religion… J’ai un grand respect pour la religion mais pour moi cela appartient à l’intime absolu. Elle n’est ici qu’un prétexte pour réunir trois bras cassés. Il fallait un dénominateur commun – et même l’imam ne l’est pas vraiment – pour réunir ces trois là. J’ai voulu montrer dans ce film ce qu’il advient quand on arrive à trouver un socle commun. Ici c’est la musique et j’ai envie de faire faire de la vraie chanson. La seule satire que j’ai voulu est celle du monde du divertissement d’aujourd’hui, incarné par Mathilde Seigner. Je le connais très bien, puisque que ce soit les comiques ou les chanteurs, on est tous aujourd’hui rachetés par ces très grands groupes qui font pour certains aussi bien de la charcuterie que de la chanson et veulent du rendement. Il y a une réelle satire sur mon personnage. On lui demande du rendement, il fait comme ça arrive aussi parfois au cinéma, le truc le plus démago du monde. Il se dit « Je vais monter un groupe avec un rabbin un prêtre un imam, comme ça il y a tout le monde. Coexister est un gros bonbon, cela va plaire à tous ». Sauf qu’il a pris trois bras cassés et que ça lui revient à la gueule.
Comment avez-vous réuni ce casting ? Si le rôle était celui d’un vrai imam je n’aurais pas choisi Ramzy. Dès le moment où j’ai su qu’il allait jouer cet espèce d’escroc, c’était une évidence. Il dégage une telle générosité que même s’il dit les pires horreurs il est toujours drôle.
Guillaume de Tonquédec est formidable, il est tellement curé au quotidien, de par ce qu’il est, de par son éducation. Il était tétanisé en voyant arriver les deux filles dans la scène de strip-tease. C’est tellement amusant de le voir là-dedans ! Jonathan Cohen est la bonne surprise de ce film. Je ne voulais pas tomber dans le cliché du juif Séfarade qu’on a vu dans La vérité si je mens. On a commencé le casting en pensant au côté Ashkénaze, plus représenté par l’humour new-yorkais. Je voulais éviter les Timsit ou les mecs que l’on connaît dans cette couleur là qui le font très bien, mais je souhaitais de la nouveauté. Finalement j’ai casté des comédiens plus jeunes dont Jonathan, qui me fait un numéro fantastique. On a beaucoup parlé pour dissiper des craintes. Dans ses vidéos de Serge le Mito il fait un travail d’impro permanent. Ici le rôle n’est pas simple et il est capable de jouer aussi bien un état dépressif que survolté. Cerise sur le gâteau, pour ne rien vous cacher, c’est le seul qui chante tout le temps réellement dans le film. Il est très bon chanteur. Les autres ont été aidés par des doublures à certains moments. Ils ont pris des cours pendant deux mois parce que je voulais que ça ait l’air vrai, mais Jonathan est le seul qui maîtrise absolument cette partie-là. C’est une comédie musicale cet homme-là : bon chanteur, bon danseur et très bon comédien. C’est vraiment le film qui lui fallait pour le coup et il est Séfarade quand même (rires).
Comment fait-on pour se mettre en scène soi-même ? Je travaille au préalable avec un coach. L’avantage d’écrire pour soi c’est qu’inconsciemment, on ne se met pas en danger. La différence c’est que j’ai donné un texte à un acteur qui peut penser qu’une scène va être balèze à jouer pour lui. Je ne vous cache pas que si j’ai dix prises, je vais en donner neuf au comédiens et en garder une pour moi. Ils vous font confiance, acceptent d’aller dans votre film et cela implique une partie sacrifice de votre côté. J’étais plus passif dans ce film là parce que je joue beaucoup plus le clown blanc, le mec qui n’en peut plus. Mon regard est en fait celui du spectateur qui est effaré de voir ces trois bras cassés plus son assistante, qui n’est pas là pour aider non plus. Il se dit que c’est une catastrophe. Je travaille le film depuis un an et demi, je le connais par cœur. On a eu une telle coexistence sur le plateau dès les premiers jours, c’était fantastique. Ca a été vraiment une super ambiance, très riche, avec des chorégraphes, des profs de chant, toute la musique, tous les petits morceaux que j’ai écrit et que mon pote a composé. Tout ça a créé un élan de créativité que je n’ai connu sur aucun film et qui amène à sa richesse.
Quel est le plus difficile lorsqu’on réalise une comédie comme celle-ci ? C’était de l’écrire dans le contexte dans lequel je l’ai écrite. J’ai posé le stylo un moment. Puis je me suis dit qu’en tant qu’artiste c’est mon travail de le faire, parce qu’on doit sortir les gens de ce quotidien, avec du recul, de la bienveillance et de l’équilibre. Après les premières projections on a senti que l’objectif était atteint et que la coexistence se passait très bien dans la salle. Le rire prenait le dessus. C’est un film qui ne stigmatise personne. On pouvait se planter complètement, ça pouvait être catastrophique mais l’envie de chacun de représenter ce qu’il est et l’être humain plus généralement a pris le dessus et a gagné. C’est une bonne chose et pour ça je pense qu’il fallait le faire.
Ce film est-il aussi un message pour la jeunesse ? Mon objectif est avant tout de faire rire. Avec Case Départ on m’avait reproché de faire une comédie sur l’esclavage. Certains jeunes m’ont dit après avoir vu ce film s’être renseigné sur le sujet. Ici j’ouvre une porte et si certains ont envie de creuser plus loin ils peuvent le faire. Avec Coexister j’ai voulu un titre fort. Au moment où l’Apartheid s’arrête, Nelson Mandela provoque un grand débat où l’on met tout à plat et tout le monde vient témoigner. Ca a créé un apaisement qui a peut-être empêché une guerre civile à un moment. C’était une situation bien plus extrême, évidemment, mais je me dis qu’on manque peut-être de connexions entre nous. Et il y a une curiosité autour de ce film, c’est très intéressant. Quand on me dit qu’à l’avant-première parisienne des évêques veulent venir, peut-être que demain des rabbins le voudront aussi !
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, septembre 2017