« Cette partie de sa vie a jailli du papier », Pernille Fischer Christensen réalisatrice de Becoming Astrid

Jolie cinéaste danoise aux yeux bleus, les traits fins, Pernille Fischer Christensen, a au premier abord, l’air plutôt réservé. Il n’en est rien et la rencontre se révèle joyeuse. La cinéaste raconte passionnée, avec une gestuelle très expressive allant jusqu’aux grimaces, l’auteur fétiche de son enfance, Astrid Lindgren, sujet de son dernier film, Becoming Astrid. On découvre alors une ressemblance très forte avec son héroïne, à la personnalité extravertie et inventive hors-norme. Ours d’argent à la Berlinale pour son premier film A Soap (2006), Someone you love (2014) et A Family (2010), y ont aussi été primés. Un entretien chaleureux avec une femme pour qui l’univers fait sens, à commencer par ses livres d’enfants.

Stéphanie Lannoy : Comment s’est passée la rencontre littéraire avec Astrid Lindgren ?
Pernille Fischer Christensen: Je suis Danoise et je vis à Copenhague, mais quand j’étais petite nous vivions chaque été dans le Småland, la région d’où est originaire Astrid et où se déroulent ses livres. La nature de mon enfance est Suédoise. Nous habitions dans la forêt. Mon père était docteur et travaillait dans différents hôpitaux dans le sud de la Suède. A cette période nous n’avions pas de GSM, ni de télévision, mais nous avions des livres. Et je lisais ces livres dans les lieux mêmes où ils étaient écrits. Par exemple quand je me suis enfuie de chez moi à 10 ans, je suis allée dans la même forêt que Ronya (Ronya, fille de brigand 1981 ndlr).

Des passerelles entre le livre et votre vie existaient… Elles étaient nombreuses en effet. Astrid traitait de sujets vraiment difficiles, auxquels les grands philosophes s’intéressent et débattent. Mais elle en parlait de manière divertissante et nouvelle, afin que même un enfant puisse avoir une discussion philosophique. Et vous pouviez aussi trouver du plaisir dans le livre sans y penser et être diverti.

« Vous m’avez enseigné que le mal et le bien existent » écrivez-vous à Astrid Lindgren… C’est elle qui a eu la plus grande influence dans ma vie, elle a été ma première rencontre avec l’art. Celui qui me provoquait et me poussait à réfléchir, qui m’a fait réaliser mon genre, ce qui est bien ou mal, les responsabilités que l’on a en tant qu’être humain, pour mes proches et par rapport au monde. Que se passera-t-il quand je mourrai ? Des choses comme celles-ci.

A quel moment avez-vous pensé en faire un film ? Je n’avais jamais vraiment réfléchi à quel genre de femme elle était, et d’où venaient ses histoires. L’idée m’est venue un jour, par hasard alors que je lisais un journal. J’ai vu une photo en noir et blanc d’une impertinente jeune femme dans un très joli manteau. Elle tenait un petit garçon par la main. Le titre était « Astrid et le petit Lasse sur le chemin de l’espoir ». J’ai alors lu un livre sur sa vie en images – je l’ai acheté pour ma mère, je l’ai gardé et lui ai acheté un autre cadeau (rires) – Il y avait cette photo d’elle enfant, comme jeune femme, puis plus tard… Et vous pouviez deviner à travers les images d’elle jeune fille que quelque chose se passait dans sa vie. Elle ne se ressemblait pas. Autre chose m’interpellait, une photo d’elle enfant, un instantané fantastique. Une photo de classe, 30-40 enfants avec le professeur, prise il y a 100 ans. Tout le monde y était assis, sauf une, debout, qui faisait la folle, des grimaces (elle crie et grimace en l’imitant). C’était une petite fille fofolle qui ne pouvait pas s’asseoir. Comment pouvez-vous transformer cette enfant libre et joyeuse en cette femme débordante de douleur sur la photo ? Par la suite j’ai commencé à faire des recherches sur elle et à découvrir ce qui s’est passé. Au départ nous avons pensé faire un film avec elle en tant qu’enfant puis en tant que femme plus âgée et cette histoire. Mais quand nous avons commencé à travailler, cette partie de sa vie a jailli du papier. Normalement vous devez inventer beaucoup de choses, les conflits… Ici, vous n’aviez pas à inventer le drame, ni à chercher le conflit.

Cette partie de sa vie a été déterminante… Elle a déclaré à propos d’elle-même que si ce qu’il se passe dans le film n’était pas arrivé, elle aurait pu être différente, mais elle ne serait pas devenue un aussi bon auteur. Elle-même trouve une signification aux événements.

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C’est votre 5ème collaboration avec Kim Fupz Aakeson pour le scénario, comment écrivez-vous à 4 mains ? Ce projet était différent car aucun de nous n’avait travaillé sur une biographie. Je fais les recherches, je lis des tonnes de livres parce qu’il trouve ça très ennuyeux ! (rires). Je lui suggère ensuite ce qu’il devrait lire. Nous écrivons alors l’histoire ensemble. Il est très rapide quand il travaille, il lui suffit de jeter ses idées sur le papier. Je suis très lente au contraire. C’est une assez bonne collaboration. Je passe beaucoup de temps à lire ce qu’il a écrit et grâce à cette méthode je peux voir où nous allons assez rapidement. Ce n’est pas comme si nous devions réfléchir durant une longue période.

Pourquoi avez-vous décidé d’utiliser les voix d’enfants, à partir des lettres des lecteurs de l’auteur, en off pour guider le récit ? Nous nous sommes beaucoup questionnés sur comment restituer la grandeur de l’auteur dans le film. Les producteurs auraient voulu un panneau à la fin indiquant le nombre de livres vendus par Astrid. Mon idée de ces lettres et de ces voix d’enfants, est que pour moi, sa réussite ne se résume pas au nombre de livres qu’elle a vendus. Son talent est que je me connecte toujours avec elle parce qu’elle m’a tellement bouleversée en tant qu’enfant et qu’elle a donné tant aux enfants. Les enfants éprouvent toujours une énorme gratitude envers elle pour ça. Nous voulions que cette gratitude et son lien fort avec eux transparaissent dans le film. Et c’est vrai qu’elle a reçu en tant qu’auteur des montagnes de lettres.

Comment avez-vous découvert votre énergique héroïne, Alba August ? En écrivant le scénario je n’avais pas vraiment réfléchi à qui allait jouer, car elle a entre 16 et 19 ans, personne en particulier… Je voulais un nouveau visage pour être capable de dire : « Voilà Astrid ». Nous avons fait un grand casting sur les réseaux sociaux etc. 500 à 1000 jeunes filles dans cette tranche d’âge se sont présentées. J’ai dû convaincre le producteur que le scénario était devenu si émotionnel et que nous ne pouvions pas prendre le risque d’engager une comédienne amateur. Nous avons alors commencé à chercher dans les écoles de théâtre. C’est là qu’est arrivée Alba. Elle était très concentrée, compétente. Elle a l’intelligence et ce côté enfantin, l’empathie aussi, car elle doit être capable de jouer avec un enfant. Diriger un enfant dépend très fort de son partenaire de jeu. Cela ne relève pas du réalisateur car il ne me regarde pas, il la regarde. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, mais elle a aussi énormément travaillé de son côté. Elle est arrivée un jour, nous demandant si on voulait voir le scénario qu’elle avait fait. Elle a créé un scénario à elle, où, pour chaque scène, elle avait trouvé un clip d’Astrid, une photo, ou un élément auquel elle pouvait physiquement se référer. Elle se préparait pour chaque scène avec un élément pour revenir à Astrid elle-même, comme un regard, et redevenir elle encore une fois. Bien sûr, vous pouvez vous jeter en avant et soudainement vous rappeler « Oh, j’interprète Astrid Lindgren » parce qu’au bout d’un moment, c’est votre propre personnage que vous créez. Mais chaque jour, elle se reposait inlassablement la question « Que suis-je en train de faire ?». Elle a aussi dû apprendre à danser, taper à la machine, être capable d’être proche des animaux, des choses comme ça. On ne s’en rend pas compte mais le film nécessite un travail d’acteur très intense.

Comment se déroule votre direction d’acteur ? Cela diffère selon le projet. Nous répétons beaucoup et essentiellement sur les personnages, pas tellement pour les scènes elles-mêmes. Il y a beaucoup de discussions, de conseils pour aider les comédiens à construire leur personnage. Chacun a un besoin différent. Parfois il faut demander aux acteurs de s’entraider entre eux. Par exemple ici nous devions construire toute la famille. Certains acteurs ne souhaitent pas tellement répéter avec les enfants. Mais à la fin la performance en dépend. Les enfants doivent se sentir en confiance. Sans répétition cela prendra du temps sur le plateau et nous aurons moins de temps pour l’interprétation. Je cherche toujours des acteurs capables de travailler en groupe, quelqu’un avec qui être en famille, en groupe, pendant toute la période durant laquelle on va travailler.

Fifi Brindacier est une icône féministe en Suède. A quel point est-ce important pour vous d’aborder le féminisme ? C’est important bien sûr, mais pour moi le propos n’est pas tant de parler du féminisme que d’êtres humains, d’humanité. Cette histoire relate une part importante de l’histoire des femmes. La sexualité des femmes a été oppressée par la honte pendant des siècles et de différentes manières. Il n’y a pas qu’Astrid qui a dû aller au Danemark donner naissance à un bébé qu’elle a dû quitter. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas seulement de féminisme et des femmes. Il s’agit aussi d’un petit garçon. Cela a des conséquences pour tous, la moitié de la population sur terre dans ce cas. Et je trouve extrêmement important que pour le moment nous osions lever le voile sur un côté sombre de l’histoire des femmes. Après m’avoir eu, ma propre mère a eu recours à un avortement illégal sur une table de cuisine par une femme novice à Copenhague, qui aurait pu la tuer. Il est important de parler de l’histoire des femmes et de faire très attention à la situation dans laquelle nous sommes et à son évolution. Beaucoup de bonnes choses arrivent actuellement avec #MeToo etc. et ça parle aussi de la honte.

Votre film aborde ces sujets d’une manière détournée… Nous avons essayé de regarder Astrid sous un certain angle. La manière de filmer implique le spectateur. Nous ne voulions pas d’une histoire à l’ancienne, mais emmener le spectateur avec elle dans ce grand conflit, cette perte, et ses émotions à cette période de sa vie. Inciter le spectateur à y réfléchir. Quelles conséquences cela implique-il dans sa vie en tant qu’être humain ? C’était primordial.

Vous collaborez une nouvelle fois avec Trine Dyrholm. Souhaitez-vous à l’avenir travailler de nouveau avec elle ? Nous avons une relation très spéciale ! (rires). On s’est rencontrées quand j’étais à l’école de cinéma, elle venait de finir ses études. On y a fait quelques collaborations ensemble et j’ai réalisé mon travail de fin d’études avec elle. On s’est connues quand on avait une vingtaine d’années, maintenant on est quarantenaires. On s’est toujours beaucoup influencées dans notre manière de penser, de parler du jeu d’acteur. Elle représente beaucoup pour moi. Quand je l’ai rencontrée j’étais très timide, j’avais très peur des acteurs ! (rires). Je ne savais pas trop comment m’y prendre avec eux. Je ne les comprenais pas… C’était terrifiant ! Mais quand j’ai rencontré Trine, elle m’a rassuré : « Dis le juste à ta manière Pernille,, il n’y a pas de bonne façon, dis-le comme tu le ressens ». Je le faisais, elle comprenait et essayait de jouer avec mes indications. Elle disait toujours que ma manière d’envisager les choses modifiait son propre point de vue. C’est une vraie collaboration dans les deux sens. J’écris actuellement un format télévisé pour elle. Cela ne s’arrête pas là ! (rires)

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Film Fest Gent, Octobre 2018

Becoming Astrid, La Critique