True Mothers de Naomi Kawase, une fiction éclairante sur les liens maternels

Tant sur le plan visuel que narratif, la japonaise Naomi Kawase signe avec True Mothers un drame magistral. La cinéaste réalise une œuvre engagée sur l’adoption plénière et le sort des femmes dans une société japonaise archaïque qui refuse encore de laisser une place à l’amour, même adolescent et d’ouvrir les yeux sur une réalité. Inspiré d’une nouvelle de Mizuki Tsujimura le film porte le label Cannes 2020 et était le représentant officiel du Japon aux Oscars.

Après avoir expérimenté une longue et pénible expérience d’infertilité, Satoko Kurihara, Hiromi Nagasaku et son époux Kiyokazu, Arata Iura, décident d’envisager une adoption. Six ans après avoir adopté un petit garçon, ils reçoivent un appel téléphonique menaçant d’une certaine Hikari, Aju Makita, qui prétend être la mère biologique de l’enfant et cherche à leur extorquer de l’argent.

Naomi Kawase impose une construction narrative inattendue et très intelligente. La cinéaste amène les personnages à se relayer dans la narration et le spectateur épousera dès lors le point de vue de chacun. Chaque récit porte ainsi une force équivalente nous incitant à éprouver une empathie complète avec chacun des protagonistes. C’est la grande force du scénario co-écrit par Izumi Takahashi et An Tôn thât. On plaint le couple infertile comme on se désole pour cette jeune fille amoureuse qui ne peut faire de sa vie ce qu’elle souhaiterait. Les pièces de temps s’imbriqueront les unes aux autres suivant ces différents points de vue avec toujours, au centre, l’enfant. La construction narrative tisse les liens de vies inextricables des personnages entre eux à partir d’un enfant et dénonce un système d’adoption plénière qui voudrait les effacer, les oublier. La mère biologique restera une information cachée car ce système coupe tous les liens entre l’enfant et celle-ci.

Du point de vue du genre, Naomi Kawase en appelle au documentaire pour faciliter le témoignage dans le récit. Elle choisit de traiter ainsi l’association d’aide aux jeunes femmes enceintes dirigée par une bienveillante responsable interprétée par Miyoko Asada.Le regard change, on filme face caméra pour des témoignages directs, sans artifices. La cinéaste insiste ici sur le propos et de la fiction on passe au documentaire pour dénoncer la situation de ces jeunes femmes contraintes de s’exiler de la société, de se cacher. D’ailleurs en terme de documentaire, la lauréate du Carrosse d’Or à Cannes en 2009 n’en n’est pas à son coup d’essai. La cinéaste manie la grammaire cinématographique entre fiction et documentaire d’une « main », ou plutôt d’une caméra de maitre.

La cinéaste inclut son récit dans la nature, prouvant ainsi le originel de son propos, par une bande son très travaillée et une image où la lumière se faufile. Même si l’action se déroule en ville, la Nature crée une emprise autour des personnages et semble nous dire que les agissements des protagonistes, intrinsèques, coulent de source. L’association est située à Hiroshima, sur une île face à des couchers de soleil « qui changent tous les jours » dira le personnage campé par Miyoko Asada. L’ambiance sonore de nature très forte enlace véritablement les personnages. Naomi Kawase démontre son Art de la mise en scène et une image irradiante dans la fiction.