
Dans Spencer, Pablo Larrain (Jackie, Neruda) convie le spectateur à une plongée intime et troublante dans l’univers infernal de Diana Princesse de Galles. Ce biopic est une claque. « Une fable inspirée d’une tragédie réelle » très romancée et qui ne prétend pas dépeindre la réalité nous annonce dès le générique Pablo Larrain. Exit la série The Crown et tous ses personnages royaux ciselés, la mise en scène du cinéaste est ici radicale. Le scénario de ce drame biographique est écrit par Steven Knight (Peaky Blinders).
Comme une prémonition, Pablo Larrain filme cet oiseau mort échoué sur la route alors que les jeeps de l’armée roulent, se succédant au-dessus de lui. Et il est question d’envol dans Spencer, nom de jeune fille de la Princesse de Galles, Lady Diana. On la retrouve dans les années 90 pour quelques jours à noël dans la propriété de la Reine, Sandringham. Trois jours qui seront pour elle comme un « champ de mines ». Toute la famille se réunit pour l’occasion. Malgré les rumeurs de liaison et de divorce, les festivités se déroulent dans tout leur faste. Diana ayant appris la liaison que son mari le Prince Charles entretien avec Camilla Parker Bowles, elle constate l’échec de son mariage. Pablo Larrain imagine les moments psychologiques cruciaux qui permettront à Diana de fuir son avenir de future reine.
Coupe blonde, port altier et tenues similaires à celles de la princesse, méconnaissable, Kristen Stewart est éblouissante en Diana. La métamorphose est fascinante et la force et la fragilité de son jeu totalement désarmantes. Pablo Larrain insuffle une fulgurance dans la radicalité de sa mise en scène. Tout est en ordre, droit avec des perspectives dans l’image comme cette arrivée des cuisiniers le matin – dont Sean Harris est le chef de brigade – qui avancent au pas, en rang les uns derrière les autres, pour finir dans une cuisine sous le panneau « Silence, ils vous entendent ! ». Tout est classé, ordonné, rien n’est laissé au hasard. Le menu, les plats, les robes que doit porter la princesse sont étiquetées, soigneusement alignées sur un portant. Le cinéaste ira jusqu’à isoler complètement la princesse dans l’image en figeant des personnages de la famille royale presque muets. Larrain dresse ainsi un portrait au vitriol de la royauté, emplie d’inhumanité face à l’âme souffrante de la jeune femme.
La « Fulgurance » du cinéaste se situe aussi dans le rendu fantasmagorique et psychologique de l’imagination de Diana, de son cauchemar. Alors qu’elle tente de communiquer, « La princesse des coeurs » est sans cesse renvoyée à elle-même, piégée dans un système dont tout le monde se plaint mais que personne ne désigne réellement. Jusqu’à l’unique confidente et habilleuse Maggie, Sally Hawkins, dont les propos avec la princesse sont obligatoirement rapportés, comme ceux des autres serviteurs de la cour, surveillés notamment par le charismatique Timothy Spall. Les moments avec ses enfants William et Harry sont ses seules bulles de liberté, limitées et contrôlées. Si l’œuvre est inventée et ne prétend pas à un documentaire sur ce moment de la vie de Diana. Le parallèle avec le destin sacrifié de Ann boleyn est parfait. La manière qu’a Pablo Larrain d’apporter de la consistance et de l’émotion à un moment de l’histoire intime supposée est absolument brillante.