Dans Ouistreham (Between two worlds), Emmanuel Carrère adapte au cinéma Le Quai de Ouistreham, roman de Florence Aubenas. Ce drame social et humain ouvrait au mois de juillet dernier la Quinzaine des Réalisateurs du 74ème festival de Cannes.
Vingt-trois ans d’expérience, deux années de droit, séparée, Marianne en recherche d’activité se présente à pôle emploi, dans la ville de Caen. Face à une conseillère qui lui vend les métiers du nettoyage comme étant l’avenir, « pas de délocalisation etc. », Marianne accepte sans hésiter à postuler. Sans fard, sans maquillage, Juliette Binoche met du coeur à l’ouvrage pour s’intégrer dans ce milieu qu’elle découvre. Empruntant le personnage autobiographique de Florence Aubenas, Marianne se dévoile être une écrivaine qui enquête sur les conditions de travail des contrats précaires dans le secteur du nettoyage. Outre le drame social, elle y découvrira la solidarité et l’amitié. Cédric lui ouvrira sa porte et partagera une pizza avec elle, évoquant son rêve de food truck. La jeune et souriante Marilou, Christelle blonde un peu garçonne gère ses enfants et un travail dur, tous deviendront ses amis. La plupart de ces acteurs sont non professionnels et jouent pour certains leur propre rôle, formidablement, comme la chef des agents sur le ferry.

A Ouistreham les conditions de travail sur les ferrys sont terribles. Une opération commando d’une heure trente pendant les escales : Deux-cent trente chambres à nettoyer, à raison de quatre minutes chacune, autrement dit de l’esclavage moderne. Soixante lits en une heure trente, c’est à dire une minute trente par lit. Rien que ces chiffres annoncent l’épuisement des corps fatigués par tant de travail physique réalisé à la chaîne en un temps record.
L’adaptation littéraire est assumée par l’écrivain-réalisateur, un peu au détriment du grand écran par une réalisation très classique. La voix-off du personnage principal nous guide dans le récit et nous raconte son histoire. Témoignage sincère sur une enquête sociale dans laquelle se jette corps et âme l’écrivaine, Ouistreham prend peu à peu la tournure d’une infiltration risquée d’un point de vue personnel. En émerge la question du témoignage mais aussi celle de l’imposture, alors que dans une France qui comprend 12% de CDD, l’écrivaine voulait « voir en vrai », rendre visible les invisibles. Ce qui est chose faite pour ceux qui ont accepté de jouer dans cette fiction.