« Une transition naturelle de quelqu’un qui avait besoin d’être présenté en tant qu’homme et pas en tant que femme », Christian Sonderreger réalisateur de Coby, Sélection ACID à Cannes

Dans le documentaire Coby, Christian Sonderreger montre sa demi-sœur américaine, Suzanne, dans l’urgence et la nécessité de devenir un homme, Jacob. Le cinéaste pose sa caméra pour recueillir les témoignages de Jacob, mais aussi de sa famille, des proches qui eux aussi ont dû en passer par les bouleversements que cela suppose. Mais l’être humain est ainsi fait que la raison et l’amour qui inondent cette famille auront raison des préjugés. Un portrait profondément humain et juste, qui montre qu’il n’y a pas de drame, mais de bons choix à faire pour le bien de tous. Le film est en Sélection à l’ACID au Festival de Cannes 2017.

Stéphanie Lannoy : Comment est venu le projet de ce documentaire ?
Christian Sonderreger : C’est un projet qui a pris du temps. Jacob fait partie de ma famille, on a la même mère. J’ai été élevé en France et eux sont aux USA. Déjà à 18 ans, Suzanne était lesbienne et a commencé à parler de cette idée de transition. J’en avais une image clichée. Je me disais à l’époque que cela n’était pas une bonne idée, qu’elle n’allait être ni une femme, ni un homme et qu’elle vivrait dans des conditions très compliquées. J’avais je pense, tous les à priori que peut-être une bonne partie du public a encore aujourd’hui et que j’ai voulu transformer à travers ce film. En le voyant faire cette transition, j’ai découvert mon erreur. Après qu’il soit devenu un homme, j’ai vu la lumière qu’il a amené dans cette famille, à travers cette épreuve que l’on a tous traversé avec lui parce qu’on l’aime. A ce moment-là, j’ai senti qu’il y avait un film à faire. Je souhaitais raconter cette idée de normalité, qui n’existe pas en général dans les films sur les transgenres. Il n’y avait pas de drame à la base, pas de faute, ni de culpabilité ou trauma, c’est une transition normale.

Vous faites partie de cette famille et recueillez le témoignage de chacun, ce film est-il votre réaction par rapport à cet événement ?  C’est clairement un film subjectif, avec mon regard. Je suis d’abord allé interviewer la famille, en faisant de longs entretiens de 3, 4 heures. Il en est ressorti une positivité, un bien-être obtenu après des passages difficiles. C’est ce que j’avais envie de transmettre.

Comment vous êtes-vous documenté ? Avant de proposer à Coby de faire ce documentaire, je me suis renseigné en France. Je suis allé voir des psychanalystes, des chirurgiens, j’ai lu des livres, des témoignages. La situation est très différente entre la France et les USA. En France l’idée est toujours mal perçue et l’idée de trauma toujours présente. Il faut que ce soit une maladie mentale pour avoir droit à la testostérone et à la chirurgie, sinon, la sécurité sociale ne rembourse pas. Aux USA on a évolué vers un accompagnement. Quand Coby a commencé son projet, son psychiatre l’a suivi pour s’assurer que c’était bien ce qu’il voulait puisque le retour en arrière est impossible. Après cette étape, je suis allé faire ces interviews pour me positionner en tant que réalisateur et plus en tant que frère.

A quel moment s’est décidée la structure ?  Je suis tombé dans le documentaire pour ce sujet, mais je viens de la fiction. 90 % des images qui sont dans le film étaient dans ma tête et j’ai écrit auparavant.

C’est donc mis en scène ?  Oui et non. Il sort avec sa jeep tous les soirs pour aller au boulot, sauf que je lui ai dit que j’allais poser ma caméra et préparer le plan.

Vous n’avez pas demandé aux personnages de jouer la scène…  Non, sauf le levé du lit pour lequel on a dû travailler un peu la lumière. Parfois c’était le cas, par nécessité. C’est juste un travail préparatoire que je fais avant. Je ne suis pas du cinéma du réel, je ne veux pas être surpris par la réalité.

Les images YouTube en 4/3 constituent la base solide de votre récit…  Je savais que j’avais quelque chose qui allait raconter ce passé à la première personne et aussi cette problématique narcissique. Elles nous aident à comprendre, mais pour moi elles ont encore plus de sens que cela.

Il en existe beaucoup ?  Il y a 110 films. J’en ai choisi 14. Les archives ont une résonance avec les interviews que je fais ou avec les scènes du réel que j’ai en face de moi et c’est cette juxtaposition qui crée à mon avis la narration du film.

Vous êtes passés du personnage à son entourage, la famille…  Dès le début j’avais besoin de rencontrer cette famille avec qui je n’avais pas vécu, pour la connaitre mieux. Avec Coby, c’était l’idée de ce geste courageux qu’il fait devant tout le monde. Et il va emmener tout le monde avec ce geste. J’ai voulu donc intégrer les proches qui l’aiment. Je voulais d’abord présenter un homme qui a un travail comme tout le monde, une épouse, une vie quotidienne simple, qui vit dans un bled. Ensuite on allait commencer à reconstruire ou le déconstruire et découvrir que c’était un homme qui était plus que ça avant.

Vous avez choisi 2 scènes avec les parents, l’une où la mère dit que finalement, elle a perdu une fille et dans l’autre, le père blague entre mecs avec Jacob, son fils. Il y a un reflet voulu entre ces 2 scènes. Je voulais montrer que la mère continue, même si elle est nostalgique, à avoir un rapport de femme avec son fils, notamment dans la première scène au petit déjeuner. Et le père ramone la cheminée avec Jacob qui raconte des blagues grossières. Ca n’est pas mis en scène, je l’ai choisi au montage. La mère a perdu une fille et le père a gagné un fils.

Cette seconde scène et ces plaisanteries confirment qu’il est bien dans son corps, à sa place…  Avec ce travail dans la cheminée on avait un homme, mais aussi dans la discussion parce qu’il sortait un truc de garçon à deux balles. Tous deux étaient gênés et ne voulaient pas que je garde la scène à cause de la plaisanterie.

Après avoir vécu tout cela, que pensez-vous des capacités d’adaptation de l’homme ?   Elles sont incroyables. Je suis comme le frère dans le film. Je ne peux pas dire que c’est ma sœur qui jouerait à être mon frère, c’est vraiment mon frère. L’homme s’adapte à toutes les situations. Le besoin de vivre est tellement plus fort que quelle que soit la situation, on s’y adapte.

C’est aussi parce que chacun veut le bonheur de Coby…  Le film est plein d’amour. Il y a de l’épreuve pour tous, en off. Mais on les sent plus dans les soupirs. Je voulais être dans le temps d’après, où l’on sent que le reste est déjà un passé, les douleurs et les abandons qu’il y a eu, surtout pour la mère qui a dû dépasser quelque chose d’éprouvant pour elle.

Ses proches l’ont vu malheureux…  De nombreux parents voient leurs enfants malheureux sans savoir qu’ils veulent devenir gays. Parfois ce sont nos propres limites qui sont culturelles, du fait de la société qui nous entoure, qui est très binaire. Coby a emmené les gens avec lui, comme ses collègues par exemple.

Que pensez-vous de ces courants rétrogrades en France et en Europe ?  Je pense que l’on avance de manière dialectique. Lorsqu’une avancée est très forte, les résistances vont l’être encore plus. Je continue à croire que l’évolution positive et progressiste prend le dessus avec des poches de résistances, parce que c’est dur d’accepter ces changements, les gens n’arrivent pas à les admettre. Comme me disait le père dans le film « Vous savez, l’essentiel de ces choses-là meurent avec nous » C’est-à-dire que lorsque la génération qui résiste aux transgenres sera morte, cette résistance partira avec eux. J’ai vu dans la salle des gens de moins de 30 ans qui trouvent ça complètement normal, alors que c’était plus compliqué pour des spectateurs plus âgés.

Sarah accompagne toute la transformation…  C’est une ombre qui le suit. Elle n’était pas facile à filmer. Lors des débats, elle est extrêmement intéressante et émouvante, mais pendant le film elle était un peu en retrait, alors que c’est vraiment le personnage moteur de cette histoire. Je le montre dans le film, c’est elle qui très simplement lance la machine. Je crois que sans elle cette transition n’aurait pas existé. Elle est à la fois le moteur et le regard qu’il a eu posé sur lui. Ce processus narcissique ne se fait pas seul, Sarah est le premier regard extérieur de Coby. Pendant un temps elle n’était qu’un miroir pour Coby qui était centré sur lui à cause de ce qu’il vivait. Sarah est vraiment un personnage qui a beaucoup d’amour car elle est tout le temps restée là.

Ce qui est intéressant dans votre structure c’est que l’on voit le couple dès le début, on connait la fin… Le but n’est pas de créer du suspens. Ce film n’est pas simple car je fais sauter tous les ressorts dramatiques habituels. Je ne voulais pas faire fonctionner cette histoire sur des situations attendues, mais ouvrir les spectateurs à autre chose.

Ca rend les choses plus naturelles, on se dit que c’est une évidence…  L’idée du film, est qu’à la fin, on se dise : « pourquoi pas ». Si des spectateurs peuvent accepter l’idée de normalité derrière tout cela c’est gagné. Il n’y a pas de drame. Comme dit son père, rien ne va mal avec Coby. Je me suis dit qu’il avait raison. C’est pour cela que je raconte cette scène de changement d’état dans la nature. Au milieu du film, je passe de l’hiver à l’été à travers l’eau, naturellement, de la glace à la rivière qui coule. Cela représente Coby, une transition naturelle de quelqu’un qui avait besoin d’être présenté en tant qu’homme et pas en tant que femme. Pour moi c’est un changement d’état, c’est tout.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, mai 2017, 70e Festival de Cannes

Rencontre avec Sarah et Jacob   –  Coby, La critique