Laure Calamy crève l’écran de verre dans Annie Colère

Blandine Lenoir (Aurore) signe avec Annie Colère une fiction-témoignage passionnante sur la situation des femmes en France dans les années 70. Ouvrière dans une usine, Annie, mère de deux enfants se retrouve accidentellement enceinte. Sa route va rencontrer celle du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) qui pratique des avortements illégaux aux yeux de tous. Ce sera pour elle le début d’une nouvelle ère.
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Laure Calamy crève l’écran en Annie, cette femme, mère et ouvrière dans une usine de draps qui file sur son vélo enveloppée dans son grand manteau en laine couleur rouille. Ces plans d’Annie sur son vélo, sont sublimés, très en rythme, par une musique poignante au souffle de respiration créée par Bertrand Belin. Elle est entourée d’une savoureuse galerie de personnages, car Blandine Lenoir signe un film choral. Tous les milieux sont représentés ici, de l’infirmière (Zita Hanrot, Fatima) à la fromagère. L’histoire n’omet pas les hommes. Les médecins bénévoles qui pour éviter des décès aux femmes avortées à coup d’aiguilles, aident à leurs risques et périls ces nombreuses anonymes désespérées. Salopette et spécialisation à l’appui, India Hair campe Claudine, l’une des rares femmes médecins d’un groupe du MLAC. La progression du personnage d’Annie est très belle. La timide Annie entrera sur la pointe des pieds lors de sa première réunion du MLAC et repoussera ses limites pour s’émanciper, prenant peu à peu conscience de ses ressources et capacités jusqu’alors étouffées.

La cinéaste place la vie au coeur de cette fiction et ne transige pas avec la réalité. Les enfants habitent ce film. Certaines femmes sont déjà mères de plusieurs enfants, comme cette femme aux cinq gamins qui crie sa culpabilité d’avorter tout en râlant qu’elle n’en peut plus, elle est épuisée… Filmées avec pudeur et douceur, les scènes d’avortement sont bouleversantes, accompagnées pour certaines du superbe chant de Monique, Rosemary Standley (chanteuse du groupe Moriarty), signe de sororité d’une compagne qui vient, en empathie, aider sa consoeur. Les maris soutiennent à distance, soulagés de retrouver une épouse saine et sauve. La cinéaste montre l’absence criante d’information et d’éducation des femmes qui malgré leurs quatre ou cinq enfants ne savent pas ce qu’est le col de l’utérus. A cette époque l’information gynécologique n’était pas un droit. La cinéaste revient aux sources, au raisons profondes de cette lutte et de son historique à travers le cheminement de son héroïne.

Avec Annie Colère, Blandine Lenoir réhabilite une partie de l’histoire de France en nous contant une histoire oubliée, celle des luttes qui ont généré les lois sur l’avortement et stoppé les décès à travers le mouvement du MLAC basé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs. Une comédie dramatique d’utilité publique à diffuser dans les écoles, surtout aujourd’hui, au moment où le droit à l’avortement est remis en cause dans de nombreux pays, y compris en Europe. L’intégrité des femmes et leur liberté est ici en question. Blandine Lenoir n’oublie personne et surtout pas de redonner à la femme sa place d’être humain capable, comme Annie qui s’en sortira par la grande porte d’une manière furieusement contemporaine. On sort bouleversés et instruites par toutes ces femmes courages aidées par des médecins solidaires, par la débrouille et la bienveillance de ces êtres qui voulaient juste faire le bien les uns envers les autres.