Tengo Suenos Eléctricos de Valentina Maurel, un film brut et débordant d’amour, pépite!

Tengo Suenos eléctricos (J’ai des rêves électriques), un titre à la hauteur de la fulgurance du récit de ce premier film belgo-franco-costaricain de Valentina Maurel. La cinéaste brosse le portrait d’une jeune fille, Eva, seize ans. Elle pose à travers ce portrait un regard éclairant sur un fait de société, la violence intra-familiale à travers l’amour des proches. Un sujet rare et maîtrisé de bout en bout dans une intelligence narrative toute en finesse, flirtant parfois avec l’indicible existentiel.
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Le suivi des câblages de tram sur fond de ciel azur ensoleillé préfigure le côté électrisant de ce film avec, en voiture, la famille d’Eva, Daniela Marín Navarro, sa petite soeur Sol, Adriana Castro Garcia, sa mère Anca Vivian Rodriguez et son père Martin, Reinaldo Amien Guttierez. Un simple désaccord pour un choix de musique et le père s’énerve. Trop. ᅠEva est une adolescente observatrice, boudeuse qui subit de plein fouet la séparation de ses parents et l’éloignement d’un père qu’elle adore alors que ce dernier, désorienté, rêve d’une nouvelle vie d’artiste. La réalisatrice réussit le formidable pari de montrer la violence intra-familiale par le regard d’une fille adolescente qui ne désire rien d’autre que de vivre avec un père colérique, face à une mère qui a tiré le rideau sur sa relation avec lui et ne supporte plus aucune trace de violence chez elle. Daniela Marín Navarro transcende par son jeu ce personnage de jeune fille adolescente en transformation qui zone en tentant de trouver sa place, grandissant face la brutalité du monde des adultes. Les personnages sont parfaitement définis, bien écrits – le scénario est signé de la cinéaste – et le casting de cette famille vient achever cette écriture sensible et assurée. Valentina Maurel dresse un portrait très singulier de ce personnage de jeune fille au sein de sa cellule familiale post-implosion parasitée par la violence. Elle élève le récit en appelant la part animale des personnages transfigurée par le père dans un poème « Tengo suenos eléctricos »… Elle suggère ainsi le thème du monstre. Tel Jekyll et Hyde, le père possède une double personnalité. Le personnage d’Eva soulève aussi la question de l’héritage du monstre. Comment grandir avec ce legs? Traversée elle-même par des accès de colère elle s’en prend à sa petite sœur en lui tirant les cheveux. En pleine adolescence, la jeune fille s’éveille aux pulsions et à la sexualité. La séquence avec une femme-gorille à la foire ne fait pas exception au tableau. Père et fille se ressemblent tellement qu’ils sont comme possédés par des accès de rage extérieurs à leur personne qui viennent parasiter leur vie. La figure du chat, métaphore sublime, vient définitivement amener le récit à une dimension universelle, celle de ces mystères irrésolus de l’existence terrestre. Le mystère humain. L’homme descend de l’animal, ne lui reste-t-il pas quelques instincts animaux? La violence du chat se produit quand il est acculé, quand il a peur, c’est bien pour cela qu’il griffe la jeune Sol. De la même manière, ce chat qui se réfugie sous un lit à la fin du film est apeuré. La cinéaste montre la faille, la crainte de ces êtres traversés par des excès qui ne leur appartiennent nullement. Cette dimension intangible, irrationnelle de l’inconnu est très intéressante dans le film et surfe légèrement avec le fantastique. Tout cela sera magnifié dans le poème du père. « On s’aime aux cris parfois aux coups. Nous sommes une horde d’animaux rêvant d’humanité. La rage qui nous traverse ne nous appartient pas ». Ici pas de happy end, la cinéaste n’élude aucunement les responsabilités des actes, mais dévoile derrière le drame l’amour qui unit le père et sa fille. Elle révèle la limite sinueuse et complexe entre amour et haine, comme une part de vérité dans l’ombre.

Sortie dans les salles belges le 3 mai 2023.