Augure est un premier long métrage fulgurant qui a décroché le Prix New Voice dans la sélection Un Certain Regard du 76ème festival de Cannes. Baloji propose un point de vue inspiré, neuf et cash sur l’identité d’un homme. Un personnage né en République Démocratique du Congo qui a grandi en Europe et retourne après plusieurs années dans son pays d’origine, au sein de sa famille sur les traces des siens restés là-bas. Dotée d’une puissance narrative indéniable cette fresque sur le retour en Afrique extrêmement complexe flirte avec le film de genre. Augure fait partie des films en lice pour la Caméra d Or qui récompense la meilleure première oeuvre.
Koffi, Marc Zinga, vit en Belgique depuis quinze ans. Il revient à Lubumbashi pour s’acquitter de sa dot, accompagné par sa future femme Alice, Lucie Debay. Rempli d’espoir, d’attente et de fierté, l’homme est nourri des pensées positives liées à ce prometteur retour en Afrique. Attaché à faire les choses parfaitement, il souhaite régler sa dot en même temps qu’il présente sa blonde fiancée enceinte de jumeaux. Exit sa coupe afro, il espère plaire à tous, intégrer le cadre familial, se fondre dans les traditions, mais c’est une confrontation frontale qu’il va subir face aux préjugés et à la suspicion des siens. C’est un monde complexe, parfois absurde que nous décrit Baloji dans son film qui porte une écriture nerveuse, forte, aussi puissante que le milieu qu’elle décrit. La première scène du film est onirique avec cette femme qui galope sur son cheval au milieu de poupées suspendues dans le désert tels des épouvantails et finira près d’un point d’eau. Par là-même comme par cette revisite d’Hansel et Gretel des frères Grimm, le cinéaste touche au conte. Le couple d’européens sombre presque dans un cauchemar quand le sang du nez de Koffi tombe malencontreusement sur le bébé de sa soeur. Il y a forcément malédiction. Cet univers est à des lustres de celui du couple. Baloji convoque toute l’imagerie des esprits et de la sorcellerie africains. Ceux-ci sont superbement et judicieusement mis en scène par le cinéaste qui s’en sert pour investir le film de genre. On frôle le fantastique dans le retour de ces traditions ancestrales.
Au delà des conditions de vie en Afrique, le film questionne également d’autres thèmes centraux. La place de la femme et la question du départ à travers le personnage de Tshala, Eliane Umuhire, la soeur de Koffi qui se détache des croyances traditionnelles pour réfléchir aux siennes. La responsabilisation autant que l’infantilisation du frère aîné qu’est Koffi. Si l’oncle lui reproche une coupe de cheveux pas assez nette, il lui souffle aussi à l’oreille les responsabilités qui lui incombent en tant qu’aîné de la fratrie. Baloji nous offre aussi des moments surréalistes, uniques dans une vision folle du monde. Comme ce moment où un mineur noir entonne Les Corons de Pierre Bachelet hymne des mineurs du nord de la France transposé dans un bus en Afrique.
Le film est un point de vue singulier sur le difficile retour dans le pays d’où l’on vient quand la différence entre deux mondes constitue un abysse. On sent l’histoire personnelle derrière ce récit foisonnant qui allie avec intelligence le réel à l’imaginaire.