«Des choses simples, humaines et qui parlent aux gens» Emmanuel Courcol, En Fanfare

Acteur, scénariste et cinéaste, Emmanuel Courcol a plusieurs cordes à son arc cinématographique. Sa filmographie est traversée par un fil directeur, l’humain. Il a collaboré aux scénarii de films engagés comme Welcome ou L’Equipier de Philippe Lioret. Après son second long métrage, Un Triomphe sur un atelier théâtre en prison avec Kad Merad, il part dans le nord de la France réaliser une comédie dramatique jouissive, En Fanfare, avec Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin qui séduira les spectateurs de tous horizons. Ce dernier et troisième long métrage porte une veine sociale et à l’écouter on sent qu’Emmanuel Courcol aime les gens.

L’idée du film vous est venue en allant voir une fanfare dans le nord de la France ?
Emmanuel Courcol: C’était il y a longtemps, on avait fait une consultation sur un scénario. J’avais alors rencontré une fanfare et ça m’avait beaucoup plu. Plus tard j’ai repris cette idée. Je suis parti en repérage du côté de Douai où j’ai rencontré plusieurs harmonies et d’un coup je me suis retrouvé dans le film. L’accueil chaleureux, ce plaisir d’être ensemble, de jouer de la musique, cela nous a tout de suite emportés.

La ligne directrice du film est-elle la musique pour vous, en tant que scénariste? Au départ on se dit que c’est la confrontation de différentes musiques, de diverses pratiques musicales avec l’arrivée de ce grand chef dans ce milieu de musique amateur et populaire. Ensuite on ouvre sur d’autres types de musiques. Le jazz, la variété, la country… C’est très musical, mais après le récit s’articule vraiment autour de la rencontre de deux frères qui portent chacun des univers musicaux et sociaux très différents.

Avez-vous fait des recherches musicales pour lier dans le scénario ces deux êtres comme vous le faites par la musique ? Bien sûr, avec Irène (Muscari ndlr) ma co-scénariste, on a commencé avec nos propres goûts musicaux. Je ne suis pas musicien non plus, mais on est plutôt mélomanes et ouverts à pas mal de musiques. On a ensuite imaginé les goûts que l’on pourrait prêter aux protagonistes. Que pourraient-ils aimer comme musique? Qu’est-ce qui pourrait les faire vibrer ? On s’est également entourés d’un superviseur musical qui m’a fait découvrir des morceaux que je ne connaissais pas forcément, comme l’ouverture d’Egmont de Beethoven, la première musique du film. Ça s’est construit comme cela petit à petit.

Votre film démontre par ses personnages des liens qui a priori ne sont pas évidents entre le jazz, Verdi… Je suis assez éclectique en général dans mes goûts musicaux. L’idée était qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces musiques. Il n’y a pas de jugement. Ce qui compte c’est faire de la musique.

Vous aviez déjà collaboré avec Pierre Lottin dans un Triomphe et vous avez écrit le rôle de Jimmy pour lui. Comment avez-vous écrit ce personnage en rapport avec cet acteur? J’ai écrit avec le projet que j’avais en tête mais avec la personnalité de Pierre. J’ai travaillé avec lui avec son personnage précédent et sa personnalité dans mon film Un Triomphe. C’est un personnage qui lui colle à la peau. Et surtout j’avais envie de montrer quelque chose que je sens de lui qu’il n’a pas forcément révélé dans ses films précédents. Un protagoniste plus profond avec toujours ce côté un peu noir, blessé en lui et en même temps un désir de Lumière. C’est un personnage complexe et ça m’intéressait de le voir s’exprimer et se développer sur toute la durée du film. Il a souvent fait des rôles de comédie bien sûr, Les Tuches etc., un autre personnage dans un autre registre et puis il a aussi abordé des rôles un peu plus sombres, plus sérieux, mais souvent de second rôle, ou des apparitions marquantes et là c’était intéressant de voir son personnage évoluer avec toute sa complexité. Oui, c’était vraiment écrit pour lui.

Pourquoi avoir choisi face à lui Benjamin Lavernhe pour interpréter son frère ? C’était compliqué parce que je voulais quelqu’un qui incarne le chef sans être dans la caricature. Il n’existe pas de physique de chef d’orchestre mais des représentations. Il cadrait avec ça sans amener de caricature. J’ai aussi pensé à lui parce que comme pour Pierre, quand je cherche un acteur je suis toujours à l’affût de ce qui fait partie de la personnalité profonde, pour éviter tout travail de composition. Pierre amène un personnage populaire et Benjamin a une autre histoire, une autre origine. C’est un garçon très éduqué qui vient d’une bonne famille et qui porte ce qui est le fond du personnage dans le film. Il est très musicien. On a l’impression qu’il pourrait maitriser n’importe quel instrument en quelques mois. Cela s’accordait très bien avec la personnalité de Pierre et ils avaient envie de travailler ensemble. La première fois que je les ai rencontrés on est allés manger tous les trois. Je les ai regardés parler entre eux et je voyais les deux personnages.

Pierre Lottin était-il musicien? Pierre est très musicien oui. Il joue très bien du piano, il compose. C’est un autodidacte très doué et ça nous a bien aidé. On le voit jouer du piano avec Benjamin qui lui aussi est autodidacte, qui a également une facilité parce qu’il joue très bien, notamment le concerto de Mozart. Pierre avec son oreille musicale s’est mis au trombone de façon étonnante, assez vite. Il a réussi à sortir des sons justes alors que le trombone est un instrument compliqué, il faut avoir de l’oreille. C’est un bon musicien comme Benjamin qui a beaucoup travaillé la direction avec un jeune chef d’orchestre. C’est une des grandes satisfactions aussi sur ce plan là, parce qu’il y a un réalisme social et musical dans le film. On croit vraiment qu’il dirige. Les chefs d’orchestres que j’ai rencontrés m’ont dit «Pour nous il n’y a pas de problème il dirige». Ce qui est assez rare au cinéma en général, mais il y a eu un gros travail. Michel Petrossian le compositeur était également notre conseiller musical. Sur le plan musical on a eu une grande grande rigueur.

Concernant la direction d’acteur, aviez-vous des désidératas particuliers pour cette fratrie ou laissiez-vous les acteurs improviser à partir de cette base-là ? Un peu les deux. C’est un film très écrit avec des dialogues écrits. Je suis comédien à l’origine et c’est une grande aide à l’écriture. C’est un peu musical, on sent quand ça passe ou pas. Sur cette base je laisse toujours l’acteur me proposer des choses. Si un mot lui plaît plus qu’un autre parce que ce serait mieux là, je ne vais pas m’en priver. J’utilise aussi leur créativité. Ce ne sont pas des scènes d’improvisation proprement dites parce que les dialogues sont écrits mais il y a à la marge un peu d’improvisation. Quand on tombe sur des acteurs extrêmement créatifs et ludiques aussi dans le jeu comme Benjamin qui a envie d’essayer plein de choses, qui est toujours insatisfait de ce qu’il a fait, au bout d’un moment je suis obligé de le calmer parce que sinon on passerait la journée sur une séquence! (rires). Ça se passe toujours très bien d’ailleurs et c’est très intéressant parce que l’acteur augmente le personnage et j’ai de bonnes surprises. C’est pareil pour Sarah Suco qui est aussi formidable. Ces acteurs apportent vraiment un plus et c’est souvent mieux que ce que je m’imagine à l’écriture. Il est important pour moi que l’acteur se sente libre, soit vraiment en confiance. Qu’il puisse créer, donner des choses. C’est le cas pour les acteurs principaux et les d’autres, des rôles plus secondaires. Je laisse l’acteur s’approprier le personnage.


On sent beaucoup de réalisme dans votre film. Comment la réalité nourrit-t-elle votre fiction ? Dès l’écriture. Après c’est aussi le casting. Je cherche une interprétation simple, des gens qui peuvent se livrer. Par exemple dans la fanfare l’harmonie de Lallaing constitue le gros de la troupe. A l’intérieur, il y a huit seconds rôles que j’ai castés, qui sont des acteurs professionnels. Certains que je connais et d’autres que j’ai découverts qui avaient tous par contre un instrument, une pratique musicale dont ils jouent réellement. Quand ils ont joué ensemble l’alchimie s’est faite tout de suite. Au bout d’une journée les amateurs et les acteurs donnaient l’impression de former un même groupe.

De la même façon la musique lie les gens… Exactement. Ce qu’il s’est passé sur le tournage était ce qu’il se passe dans le film, c’est très fédérateur. Je suis attentif à choisir des acteurs qui ont un sens de l’humain. Qui aiment bien les gens et facilitent le travail dans le tournage. Je n’ai pas envie de travailler avec des gens compliqués. J’aime bien les personnes généreuses donc la fusion s’est faite très vite.

Les scènes de répétition de la fanfare sont-elles également très écrites? Les échanges entre les protagonistes sont écrits oui, avec toujours des petites trouvailles de ci de là. Il fallait que le groupe fusionne un peu, qu’il y ait de la spontanéité. Il faut libérer la spontanéité si on veut que ce soit vrai.

Dans ces séquences l’impression de réel est précisémment très forte quand vous filmez. Oui on a l’impression que cela pourrait être du documentaire. C’était ce que je cherchais. Au début les musiciens de l’harmonie étaient un peu impressionnés par la caméra, par les acteurs professionnels. Ils n’osaient pas trop réagir. Je les ai beaucoup encouragés et puis j’ai été aidé par les acteurs professionnels qui sont allés vers eux. Et en une journée ça c’est fait. J’ai ensuite pu tourner de nouveau une ou deux séquences qui étaient les premières que j’avais faites avec eux, parce qu’en les tournant une nouvelle fois on avait là tout à fait l’ambiance avec la chaleur, les réactions, c’était drôle et vivant. En plus c’était un grand plaisir de tournage, avec eux c’était formidable.

Vous avez besoin de vous plonger dans l’humain. C’est ce qui m’intéresse. J’ai attendu si longtemps pour faire du cinéma, c’est pour faire quelque chose qui me plaît et qui finalement me ressemble.

Vous êtes un scénariste confirmé. Pourquoi co-écrire le scénario du film plutôt que l’écrire seul? Cela apporte beaucoup de richesse. Ecrire seul est compliqué, on passe son temps à se demander si c’est bien. J’ai besoin de croiser les regards et de travailler un peu comme je le fais avec les acteurs. C’est assez collaboratif et avec Irène, c’était notre premier scénario commun. C’est un peu le miracle de la rencontre aussi. À la fois des affinités et des complémentarités, c’est-à-dire que l’on ne se ressemble pas en tous points. C’est une femme et un homme et nous n’avons pas forcément les mêmes histoires. Et on se renvoie la balle. J’ai fait beaucoup de co-écriture dans le scénario et là on écrit en direct. On se met devant un écran et on bâtit le récit ensemble.

C’est rare, en général les gens s’envoient des versions du scénario. Oui habituellement c’est un ping pong on se renvoie les trucs, on écrit dans son coin. Là c’est la première fois mais c’est aussi ma compagne ça fait partie de notre vie et puis cela demande une grande confiance. Ça peut être très inhibant d’écrire sous le regard de l’autre. Tandis que là tout d’un coup on est ensemble. Quand on co-écrit il ne faut pas avoir de fierté d’auteur. Ici au contraire l’idée de l’un devient celle de l’autre. On se confronte aussi des fois on est pas d’accord, on s’engueule un peu. Comme on vit ensemble quand on a une idée et qu’on fait autre chose on en parle. On vit avec le scénario. On a commencé dans des conditions particulières, puisqu’on a écrit une première version du scénario pendant le premier confinement. On était à la campagne et ça a été une période assez bénie pour nous alors que ça a été vraiment pénible pour beaucoup de gens. On était dans des conditions idéales, on n’avait que ça à faire. On était coincés, à la campagne avec le luxe de pouvoir sortir s’aérer. C’était comme une résidence d’écriture forcée.

On sent beaucoup de subtilité dans le récit, les réactions des personnages sont tellement justes. C’est un travail avec beaucoup de couches successives. Quand on sent que c’est faux, on jette. Et après pendant le tournage, on s’aperçoit de l’inutilité de certaines choses. Un regard, une situation, un silence, quelque chose fait qu’on a compris, on a pas besoin de le dire. Après au montage on peut élaguer un peu. On part du principe que le spectateur est intelligent et qu’il va comprendre des choses sans qu’on soit obligés de souligner. C’est encore plus gratifiant pour lui de le rendre plus actif dans la compréhension du film sans que ce ne soit un exercice intellectuel. C’est intuitif, sensoriel. La co-écriture avec Irène c’est aussi partager des expériences humaines. C’est quelqu’un qui a une expérience très intéressante de par son activité. Elle travaille dans les prisons où elle apporte la culture aux détenus. Elle gère tout le secteur culturel d’un gros établissement pénitentiaire en France. C’est une expérience humaine forte et tout ça se retrouve aussi dans le travail.

Avez-vous repris ou retenu certains éléments de votre film précédent, Un Triomphe pour ce film-ci? Je retiens toujours des choses, heureusement, je suis un jeune réalisateur ce n’est que mon troisième film, même si j’ai fait des choses en rapport avant j’étais comédien et ensuite scénariste. J’essaie de capitaliser mes expériences de tournage et d’écriture.
Vous conservez déjà certains acteurs. Oui j’ai gardé trois ou quatre acteurs.
Il y a Rose. C’est ma fille ! (rires). Il y a aussi Yvon Martin qui joue un saxo de l’orchestre, c’est le troisième film que je fais avec lui. Des personnages comme ceux-là et puis il y a évidemment Pierre qui était là. Oui j’apprends de chaque film, à simplifier, à me détendre et à faire confiance, à déléguer aussi beaucoup et surtout ici seul le chef opérateur n’était plus le même, sinon c’était en grande partie la même équipe. La collaboration fonctionne bien, on se connaît mieux, pas besoin de s’énerver! (rires).

Le spectateur ressent tout le spectre des émotions. Votre film est une comédie dramatique mais en même temps on rit aussi beaucoup et peut être également considéré comme une comédie. Comment le définissez-vous? Il y a de la comédie et du drame. C’est la comédie de la vie. Je suis toujours embêté, j’ai l’impression que tout le monde est gêné pour classer le film dans une certaine catégorie. On rit et on pleure, oui. On est bouleversés et en même temps il y a une réalité sociale qui est dure. Ce n’est pas du divertissement.

Le fait qu’il y ait du drame en compensation permet d’autant plus de rire. Oui bien sûr. Et puis le présupposé de l’affrontement des cultures génère évidemment de la comédie. Quelques répliques font mouche mais globalement c’est du comique de situation. C’est cocasse parce que tout d’un coup il y a du télescopage de deux univers, de l’incompréhension, de l’étonnement.

Et pourtant vous ne tombez pas dans l’écueil de cette confrontation qui pourrait ne pas fonctionner. Sur ce modèle-là on pourrait faire aussi une grosse comédie. C’est une histoire de finesse, c’est très intuitif. J’ai horreur de ce qui est trop appuyé. De nombreuses comédies ne me font pas rire. Finalement on s’aperçoit que ça marche très bien auprès d’un public très large et que l’on n’est pas obligés de servir des grosses ficelles aux gens. Ils sont plus intelligents qu’on ne le pense. La bonne surprise c’est que de nombreuses subtilités sont saisies par le public et comme il y a plusieurs niveaux de compréhension dans le film des publics très différents peuvent s’y retrouver. J’ai vu de jeunes spectateurs qui n’ont pas forcément toutes les références qu’il faut adorer ce film. Dès qu’on touche à des choses simples, humaines et qui parlent aux gens on s’y retrouve. Cela permet de faire passer certains messages un peu plus subtils en douceur.

Avez-vous déjà des projets ? On a un tout autre projet déjà écrit qui commence à entrer en production. Un drame familial qui va nous emmener au Groenland. J’ai adapté un roman avec Irène, c’est notre seconde co-écriture. Banquise (de Valentine Goby ndlr), qui sera aussi le titre du film. Cela met en jeu une jeune fille, ses parents et sa sœur aînée disparue. C’est une autre aventure. Après En Fanfare j’avais besoin d’aborder autre chose, de changer de registre. Il y avait une filiation entre Un Triomphe et En Fanfare, je ne souhaite pas non plus être le réalisateur étiqueté feel Good. Je n’ai pas cinquante films à faire, j’ai envie de faire des films différents.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, FIFF 2024.
Photo d’Emmanuel Courcol ©FIFFFabriceMertens