Everyboby loves Touda, Un cri chantant cinématographique de Nabil Ayouch

Tout commence par un cri devenu Aïta… C’est par ces mots que débute le dernier long-métrage de Nabil Ayouch, Everybody loves Touda. Après Haut et fort (Casablanca Beats), le cinéaste revient vers la musique traditionnelle du XIXème siècle en nous contant l’histoire d’une jeune femme libérée, Touda qui rêve dans le Maroc contemporain de devenir une Cheïkha, chanteuse traditionnelle qui chante la Aïta, « le cri » en Arabe.
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Personnage de femme illettrée mais studieuse et appliquée, Touda ne rechigne pas à travailler son art pour devenir une vraie cheikha. Yeux en amande soulignés de khôl, la comédienne Nisrin Erradi (Adam de Maryam Touzani) transcende son rôle. Mère le jour, elle part vers l’inconnu chaque soir pour chanter dans des clubs ou des foires où le danger est à chaque fois présent. Il n’y a aucune distance avec les hommes alcoolisés qui dansent autour d’elle telle une meute assoiffée. La prise de risque est immense pour cette femme sublime au costume traditionnel rouge et doré. Comme l’annonce la violence de la première séquence, les cheikhats, ont perdu tout crédit au sein de la société marocaine. «Je ne suis pas une pute, je suis chanteuse » lancera l’artiste. Touda souhaite quitter son village, déménager à Casablanca pour pouvoir exercer son art comme elle le devrait, avec respect car elle est réduite à chanter de la variété, plus populaire. Cela permettrait aussi à son fils Yassine, Joud Chamihy, d’entrer dans une école pour malentendants qui prendrait en compte son handicap. La jeune artiste embrasse sa liberté dans une solitude immense, coûte que coûte, car même sa famille ne la comprend pas. Son frère a honte d’elle et sa mère considère que le handicap de son fils est une malédiction.

Ce bouleversant portrait de femme de Nabil Ayouch mêlant art et tradition est profondément déstabilisant. Il met en scène un personnage, Touda, cheikha émouvante de force et de détermination qui cherche désespérément sa place au sein d’une société marocaine qui la rejette, a oublié son art et se moque d’elle jusqu’à l’humiliation. A quel monde appartient elle ? Le spectateur ne peut qu’être en empathie avec cette femme respectable aux valeurs et à l’art noble plongée dans une jungle impitoyable. Au fil du film se dessine de manière assez terrifiante un personnage qui disparait peu à peu, devient une sorte de fantôme à travers cette histoire et cette société. Seul un vieux violoniste, El Moustafa Boutankite, comme venu d’un autre âge lui laissera sa chance.

La beauté et le politique chanté dans la Aïta a presque disparu. Nabil Ayouch alerte la société marocaine, son film est un cri politique à l’image du chant traditionnel de la Aïta pour réveiller une société qui maltraite ses richesses culturelles, ses acquis, ses artistes, ses libertés, ses femmes et se prive d’un art noble et ancestral.

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