
Après La Conspiration du Caire prix du scénario à Cannes, Tarik Saleh revient avec Les Aigles de la République un passionnant thriller qui prend place dans le star-system égyptien. Comme il en a pris l’habitude, le cinéaste suédois d’origine égyptienne convie le spectateur dans un décor inattendu, celui des studios de cinéma des années cinquante à soixante-dix en Egypte. Il signe un film foisonnant aux lectures plurielles, à la fois hommage à un cinéma d’antan mais également une œuvre politique qui questionne l’intégrité et la survie des individus, notamment des artistes au sein d’un régime totalitaire. (A lire bientôt : Entretien avec Tarik Saleh).
Star du cinéma égyptien qui envahit les affiches de films, George El-Nabawi n’a plus rien à prouver. Mais l’homme tombe soudainement en disgrâce auprès des autorités et se voit contraint d’accepter un rôle qu’il ne peut refuser dans un biopic sur le président en place. Séparé de sa femme, il vit avec sa jeune amie Donya, Lyna Khoudri, qui elle cherche désespérément le personnage qui fera décoller sa carrière.
Complice et ami du cinéaste, Fares Fares (Le Caire confidentiel, la conspiration du Caire) prête un séduisant charisme au pharaon de l’écran, George El-Nabawi. L’excellente Zineb Triki (Le Bureau des Légendes) interprète Suzanne, épouse du Ministre de la Défense et femme cultivée, Diplômée de la Sorbonne en Histoire. Si Le casting est impressionnant, un mystérieux protagoniste l’est tout autant par la défiance que dégage son regard perçant, le Dr Mannsour merveilleusement campé par Amr Waked.
Le cinéaste questionne l’intégrité de ces personnages pris dans le piège d’un régime qui se durcit tout en proposant une lecture plurielle et décalée de son récit. Il mélange les temporalités dans une reconstitution grandiose. Son hommage glorifie le cinéma égyptien des années 50 à 70 tandis que le Président en place dont les protagonistes réalisent le biopic est Al-Sissi, actuel président de l’Egypte.
Le scénario dépeint en cascade des mises en abîmes vertigineuses. Comme l’acteur contraint de jouer dans un biopic qu’il exècre, son ami réalisateur Tarik Saleh, double du cinéaste s’est vu contraint d’accepter la commande du film « Pour les mêmes raisons que lui » annoncera-t- il à l’acteur qui croit à la magie d’un scénario raté sublimé par un bon réalisateur. Ici Tarik Saleh se met en scène dans son propre film, avec son ami Farès Farès, qui joue Georges. Comme le personnage double du réalisateur, Tarik Saleh se voit confronté au film de commande, une fiction et au respect de l’intégrité.
Dans un jeu de stratégie formidablement bien mené le vrai réalisateur, celui qui tire les ficelles n’est pas celui que l’on croit. Un homme omniscient tire les ficelles de l’histoire dans une intégrité totale, le Dr Mannsour Amr Waked qui sait et voit tout. Cette fiction à la fois politique et historique renvoie au réel. Une séquence s’inspire notamment de l’assassinat d’Anouar El-Sadate (le 6 octobre 1981). Le cinéaste interroge plusieurs dimensions dans cette œuvre et c’est ce qui fait sa grande pertinence, le tout avec l’humour délicat qu’amènent des situations ubuesques face aux contradictions de la dictature.
A lire aussi: Entretien avec Tarik Saleh pour La Conspiration du Caire et critique du film.