1819, en Normandie. Après une enfance passée au couvent, Jeanne Le Perthuis des Vauds revient vivre au château de ses parents. La jeune femme profite des plaisirs simples de la vie entre jardinage, jeux et rêveries. Elle va épouser Julien de Lamare, qui très vite, se révèlera un être pingre, brutal et volage. Les illusions de la jeune femme vont peu à peu s’envoler.
© O’Brother Distribution 2016
Après La Loi du Marché, Stéphane Brizé nous emmène au XIXème siècle pour une adaptation du premier roman de Maupassant Une vie, à partir d’un scénario co-écrit avec Florence Vignon. C’est sa seconde adaptation au cinéma après Mademoiselle Chambon (César de la meilleure adaptation en 2010 déjà co-écrite avec sa comparse). Le cinéaste prélève dans l’œuvre originale des moments fugaces mais clés de la vie de Jeanne, l’héroïne (Judith Chemla, Camille redouble de Noémie Lvovsky). Cela crée un récit juste et essentiel, structuré par d’importantes ellipses, qui donnent une modernité particulière au film, particulièrement réussi.
Dans un plan très poétique, Jeanne ferme les yeux, rêveuse, face au soleil. Elle pense à la discussion sur le mariage qu’elle a eue avec ses parents, que l’on entend en off. Il est question d’un mariage arrangé avec Julien, impassible Swann Arlaud (Les Anarchistes de Elie Wajeman), mais ils veulent qu’elle soit heureuse et lui laissent le choix. L’épisode du mariage de Jeanne et Julien sera ainsi seulement évoqué avant que l’on assiste à la nuit de noce, moment pénible pour Jeanne. Le couple vit ensuite dans le château des parents qui en sont désormais partis. Jeanne a froid, elle brûle du bois pour se chauffer. La jeune femme subit la première réprimande de son mari : il ne faut pas chauffer, elle doit se couvrir. Elle ne doit pas user les bougies non plus. On le verra jouer aux cartes seul pendant que Jeanne s’ennuie, ce qui tranche avec les moments heureux passés avec ses parents et avec leurs amis ou les jeux se jouaient à plusieurs. Les parents sont incarnés par un Jean-Pierre Darroussin, philosophe Rousseauiste (comme dans l’oeuvre de Maupassant), qui profite du sens de la vie et Yolande Moreau incarnant la mère de Jeanne, qui se réfugie dans ses souvenirs et relit incessamment des lettres du passé. Citons aussi la servante « sœur de lait » de Jeanne, Rosalie jouée par la dévouée Nina Meurisse, qui ne lâchera jamais cette dernière.
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On salue une mise en scène très affirmée qui épouse parfaitement le récit : le choix du 4/3 et de cadrages très ciblés, d’abord un peu déstabilisants, expriment parfaitement l’isolement que Jeanne va subir peu à peu. Comme dans La loi du marché, rien n’est jamais frontal, le spectateur observe un peu à l’écart ce qui va se creuser. Un plan énigmatique de Jeanne, sombre, âgée et trempée par la pluie au bord d’une route, interviendra régulièrement dans la narration en montage parallèle. On en comprendra la signification une fois parvenus au moment synchrone de ce plan dans l’histoire.
Une grande poésie émane de ce drame parfaitement maitrisé. Les conditions de vie de Jeanne se dégradent progressivement et c’est bouleversant. Le film montre la place de la femme à cette époque, même si, ce qui est intéressant, Jeanne a fait elle-même le choix de ce mariage. Cela n’empêchera pas le prêtre de la culpabiliser avec l’appui de sa mère suite à la tromperie du mari « la souillure du péché rejaillit sur vous » sans que pour autant le mari n’en soit autant tourmenté.