Avec Sage femme, Martin Provost, lauréat du César du meilleur film pour Séraphine, se penche une nouvelle fois sur un destin de femme, celui de Claire, sage-femme de son état. Ce film est une très belle histoire sur les retrouvailles chahutées de deux femmes après de longues années de séparation, interprétées par les deux grandes comédiennes que sont Catherine Frot et Catherine Deneuve, réunies pour la première fois à l’écran. Martin Provost nous livre ses réflexions sur l’existence à travers son film et les prolonge dans cet entretien, à cœur ouvert.
Stéphanie Lannoy : Pendant le générique début il est écrit « sage-femme » et le tiret disparaît. Votre film est-il une réflexion sur la sagesse ?
Martin Provost : En partant du qualificatif sage-femme « la femme qui a la connaissance », de ce métier, j’ai développé une fable sur la sagesse. La sagesse vient-elle de la sagesse ? (rires). A-t-on le droit d’être fou et sage à la fois ? Il faut un peu des deux pour avoir une vie accomplie.
Le film est un aussi un hommage à la sage-femme qui vous a sauvé la vie…
C’était le point de départ. Elle m’a sauvé la vie en me donnant son sang. Ma mère m’a tout raconté il y a deux ans. Je ne l’ai jamais retrouvée et je voulais rendre hommage à cette femme et à travers elle, à cette profession. Au fur et à mesure de l’élaboration du film s’est posée la question de raconter l’histoire d’une sage-femme, dans une démarche profonde et droite qui a voué sa vie aux autres et qui se rend compte qu’elle est dans une impasse. C’est là qu’arrive cette autre femme qui a vécu comme un électron libre de façon égoïste, légère, mais qui arrive aussi dans une impasse. Ces deux impasses vont ouvrir la brèche et poser la question « qu’est-ce qu’être sage dans la vie » ?
Avec Séraphine, Violette Leduc, Sage femme est aussi un portrait de femme. Qu’est-ce qui vous amène à travailler sur ce sujet ?
Je me pose toujours la question. J’ai été élevé par ma mère, ma sœur, mes grands-mères. J’ai eu un rapport plus privilégié avec les femmes qu’avec les hommes dans ma famille. J’ai aussi une nature plutôt féminine et douce.
Vous avez quand même écrit le personnage d’Olivier Gourmet pour lui…
Je l’ai d’ailleurs poussé à la manière dont il a interprété Paul, vers la douceur, l’évidence d’un homme simple, constant. Il est là, il aime. J’avais un grand-père qui était un peu comme ça il me semble… C’est une figure masculine qui n’est pas le rôle du film, mais c’est le rôle masculin du film.
Est-ce qu’il crée l’équilibre entre les deux personnages féminins ?
Il est le trait d’union, ce qui permet aux autres d’ouvrir l’espace entre elles où va se jouer « le drame ». Ce qui a fait qu’à un moment ça s’est coincé. Surtout pour la sage-femme qui n’a pas pu évoluer. Puisqu’elles ont aimé le même homme, pour l’une c’est l’amant, pour l’autre c’est le père. Et lui arrive à ce moment-là, comme par hasard pour incarner l’amour, l’avenir. C’est à travers ce personnage que l’on comprend que quelque-chose s’est passé qui va emmener cette sage-femme, Catherine Frot vers un avenir meilleur.
Est-ce que Paul est le seul personnage qui choisit sa liberté ?
Il a choisi une liberté très équilibrée, la liberté pour moi c’est l’équilibre. Elle s’acquiert et se conquiert avec la complexité de l’existence. C’est à l’intérieur de tout ça, dans la relation à l’autre que l’on trouve la liberté, pas en la fuyant.
Vous avez écrit pour Catherine Deneuve et Catherine Frot (et Olivier Gourmet), qu’est-ce ce qui vous a fait choisir particulièrement ces deux comédiennes ?
Pour Violette j’avais proposé le rôle de Simone de Beauvoir à Catherine Frot.
Cela n’avait pas pu se faire. Elle était venue me voir après avoir vu le film en me disant qu’elle l’avait trouvé magnifique et qu’elle serait très heureuse de travailler avec moi. Ca m’est resté, c’est important le désir chez un acteur. Quand j’ai commencé à réfléchir à cette histoire, j’étais sur mon lit et je l’ai vue au-dessus de moi (rires), comme une espèce de songe. Elle était en sage-femme et me mettait au monde. Et j’ai vu le titre.
Et Catherine Deneuve ?
J’avais très envie de travailler avec Catherine Deneuve depuis longtemps. Mais il fallait le bon personnage. Un film est aussi fait de choses que l’on doit comprendre, dépasser, analyser… Certaines choses se déroulaient dans ma vie. Une amie très chère m’a demandé de l’aider à mourir. D’un côté j’avais cette sage-femme à qui je voulais rendre hommage et en même temps, moi qui ait le sang d’une sage-femme dans les veines, je me retrouve toujours confronté à la même chose, des gens en difficultés qui viennent à moi. Je me suis donc dit que j’allais traiter de ce que c’est que d’être une sage-femme capable d’ouvrir les portes de la vie mais aussi capable d’ouvrir celles de la mort parce que ce sont les mêmes gestes. Je voulais parler de cette boucle où l’on arrive au monde, on nous donne la vie mais aussi la mort et l’on finira dans la terre ! (rires). Il y a de la beauté là-dedans. Ca n’est pas que de la terreur, c’est l’idée que l’on s’en fait qui est terrifiante. Mais si on aborde les choses dans le réel, c’est comme ça et on doit affronter ça de plain-pied le mieux possible.
Le potager est-il un lien vers le sacré ?
C’est le lieu du symbole, là ou la vie arrive, où Claire va apprendre qu’elle va être grand-mère, où elle rencontre Paul, là où elle est heureuse. Elle y a une vie familiale. C’est le lieu où l’on peut être en paix avec les choses. Quand Claire a fait l’amour avec Paul et qu’elle se réveille il y a un plan très calme avec les fleurs, c’est comme le Paradis. C’est comme si on était déjà de l’autre côté.
Vous vous êtes beaucoup documenté…
J’ai rencontré des sages-femmes dont une qui s’appelle Christine Fenaux qui a écrit un livre formidable et qui m’a beaucoup conseillé. J’ai assisté à des accouchements. Je me suis documenté sur ce qu’il se passait il y a deux ans. Les sages-femmes étaient en grève en France, se battaient contre le système pour avoir des maisons de naissance, de petites structures… ça commence mais c’est lent.
Filmer Catherine Frot lors d’un véritable accouchement était indispensable ?
C’était primordial. C’était une de ses grandes peurs d’ailleurs, mais c’était très important que l’on entre dans le film avec du réel. Et que ce soit elle qui fasse l’accouchement parce que je me disais que l’on comprendrait vraiment ce qu’est sa vie si l’on voyait la réalité. Un travail a été fait pour rencontrer des mamans en amont au moment où elles étaient enceintes. On a eu de la chance, car 7 mois après j’ai pu filmer 6 accouchements.
Cela vous donnait une matière solide pour nourrir la fiction ?
C’est comme le jardin. Claire bêche, elle plante ses pommes de terre. Il fallait une prise avec le réel pour que le romanesque qu’incarne le personnage de Catherine Deneuve soit encore plus fantastique parce que, justement, la réalité du personnage de Catherine Frot était posée. La confrontation de ces deux mondes qui s’interpénètrent c’est un peu comme le ciel et la terre. Mon travail était de parvenir à créer cette réconciliation entre le ciel, la terre, la vie, la mort…Cette espèce de complémentarité dont on a tous besoin.
Catherine Frot et Catherine Deneuve ont des méthodes de jeu très différentes…
Catherine Frot est très consciencieuse, très structurée. Et donc elle arrive, elle a bossé, elle propose. Cela dépend des acteurs. Catherine Deneuve c’est complètement l’inverse, c’est comme les personnages ! (rires). Catherine Deneuve est dans une espèce d’instantané où l’on capte des choses de l’ordre de fulgurances.
Comment dirige-t-on des comédiennes si différentes ?
C’était un peu difficile au début car il a fallu trouver les points de contacts J’ai beaucoup laissé tourner la caméra, j’ai essayé de voler des choses, d’aller au-delà des scènes. Et je voyais bien que le cœur même du film était en train de se faire. J’ai appris à lâcher-prise, à être humble et à les laisser faire, surtout Catherine Deneuve. C’est pour cela qu’il y a des moments où elle est incroyable, on a l’impression qu’elle ne joue pas. C’est au-delà du jeu. Catherine Frot aussi, ça n’enlève rien. C’était différent dans l’approche. Elle a lâché prise, c’était magnifique. Elle me disait parfois « Martin je ne sais plus ce que je fais ! » et ce sont les plus belles scènes.
Le renversement du film c’est au moment où Béatrice (Catherine Deneuve) dit que Claire est sa fille…
C’est là où j’ai mis cette musique de Grégoire Hetzel qui est si belle et qu’il avait créée pour un autre moment. Le personnage de Claire est très décontenancé par ça et en même temps elle l’accepte. On a tous ça dans nos vies, des gens qui viennent nous réconcilier avec nos parents, avec leurs erreurs, avec ce qu’ils n’ont pas pu nous donner. Ce n’est pas toujours de leur faute… Il faut savoir voir ces figures-là, tutélaires ou des totems qui sont là et qui nous tendent la main. Et si on sait prendre les mains on passe des caps formidables.
Puisque vous parlez de musique, chaque protagoniste a un thème musical…
Mon point de départ était Pierre et le loup de Prokofiev. Je voulais que chaque personnage ait sa petite ritournelle et que petit à petit, cela s’interpénètre. Les thèmes sont donc ensuite plus développés, chaque thème se mélange à l’autre. C’était une très belle aventure avec Grégoire, il est très doué.
L’appartement est un lieu décisif…
C’est l’arène. C’était un décor très difficile à trouver car je voulais aussi des extérieurs. J’aime bien voir dehors, que l’on sache où l’on est. C’est le cœur de Claire, son refuge. Elle l’ouvre à Béatrice et c’est évidemment là que le lien va se reformer et se dénouer en même temps. Evidemment, c’est le cœur du film.
Est-ce que la morale du film serait que face aux difficultés de la vie, l’être humain renoue un lien familial, recomposé ou non ?
A travers les difficultés de la vie on trouve l’amour ou on ne le trouve pas. C’est un choix. Mais si on arrive à ouvrir son cœur, à lâcher prise, oui je pense que l’on trouve l’amour. L’amour, ça n’est pas des sentiments, mais une énergie formidable qui vient de très loin. C’est l’éternité. Et si l’on peut s’en approcher…
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, mars 2016.
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