Sakari Kuosmanen, acteur et musicien Finlandais, interprète brillamment le rôle de Wikström dans le dernier film d’Aki Kaurismäki, The other side of hope. Amis dans la vie, les deux hommes collaborent depuis de nombreuses années dans plusieurs œuvres du cinéaste. Personnage principal de Juha, Sakari Kuosmanen était aussi présent, entre autres œuvres, dans L’homme sans passé et Au loin s’en vont les nuages. Il a aussi enregistré plusieurs albums solo et collaboré avec les Leningrad Cowboys et les Sleepy Sleepers. Il répond à nos questions lors d’un entretien teinté d’humour.
Stéphanie Lannoy : Vous travaillez avec Aki Kaurismäki depuis longtemps, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Sakari Kuosmanen : Il y a 33 ou 34 ans, on faisait des croisières sur les lacs finlandais avec un groupe de rock et il était là. Je savais qu’il était un grand réalisateur. En Finlande il y a de longues nuits où l’on observe le soleil de minuit. On était assis sur le toit de ce petit navire, buvant ensemble. Tous les autres musiciens et l’équipage étaient allés se coucher. Aki m’a dit qu’il allait peut-être m’écrire un rôle pour un film. C’était mon premier rôle (Calamari Union ndlr). A un moment dans le film, je pointe un revolver sur ma tempe, j’appuie et suit un grand « clic ». Je prends ensuite une BD et je commence à la lire. C’était un rôle très intéressant et c’est comme ça que j’ai commencé dans le monde du cinéma.
Comment le projet du film vous est-il parvenu?
Aki m’en a parlé il y a trois ans. Le scénario n’était pas encore prêt. Un an plus tard, il m’a envoyé la première version. Ce film est le second d’une trilogie sur les réfugiés (Après Le Havre ndlr). Un ou deux mois avant de tourner, on a commencé à parler du personnage de Wikström, de quoi il aurait l’air, de ce qui allait se passer dans le film et qui seraient les autres comédiens.
Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ?
C’est une sorte de poésie, de nouvelle, c’est très bien écrit et décrit. Aki imagine et sait exactement ce qu’il veut. Quand on est allés en Amérique tourner Leningrad Cowboys go America, c’était très différent, nous n’avions pas vraiment de scénario, juste un début et une fin. Nous avons juste cherché à compléter l’histoire. C’était un film rock. Mais celui-ci est écrit au cordeau.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Wikström ?
Je suis comme ça, un gars normal, humain, faisant du business et avec un grand cœur. Le père d’Aki était commerçant et j’ai tenu un restaurant. Je suis comme Wikström ! (rires)
Il commence une nouvelle vie…
Il a dû faire des choix. J’ai été marié trente ans avec ma femme. C’est parfois bon d’enlever son alliance (rires), de sentir libre.
Il quitte sa femme comme ça, sans remord…
Ca a un effet comique. Sa femme boit, fume, il va quitter sa maison…Les gens se marient puis divorcent. C’est la vie.
On dirait qu’il n’a pas de limites…
Je pense que Wikström est, d’une certaine manière, une sorte d’alter ego d’Aki Kaurismäki. Aki n’a pas de limites. Moi non plus ! (rires)
Aviez-vous un profil psychologique précis du personnage ?
Bien sûr. Voyez, le scénario est assez psychologique : « La 3eme scène, à Helsinki, dans un appartement d’immeuble, la nuit ». C’est la description de la scène. « Au même moment, un autre homme qui est plus âgé, dont le visage semble sculpté par un sculpteur malade mental ou par un tailleur de pierre ivre, met sa cravate dans une chambre à coucher déprimante, face à son miroir. Il a un petit lit deux places dont les draps ont été tirés avec tant d’application qu’on dirait un cercueil. Après avoir fini, l’homme prend sa veste sur la chaise et l’enfile, attrape sa valise et passe devant les meubles à travers le salon jusqu’à la cuisine et de la cuisine jusqu’à la fenêtre. Il y a cette femme assise là. Avec ses bigoudis, sa robe de chambre et elle fume une cigarette. L’homme enlève son alliance de son doigt, la met sur la table. Pose deux clés sur la table. Ils se regardent un instant jusqu’à ce que l’homme hoche la tête et quitte l’appartement. La femme prend la bague de la table et la laisse tomber dans le cendrier à moitié plein avant qu’elle ne se baisse pour prendre une bouteille à moitié pleine d’un liquide clair, boit une gorgée au goulot, fume sa cigarette et fixe l’obscurité à travers la fenêtre. Sans la douleur visible dans les regards des deux personnages on pourrait penser que c’est une scène courante ».
Le scénario est poétique et visuel…
Aki visualise tout dans ce film vous savez (Il montre alors la phrase en exergue sur la page de garde du scénario ndlr). Voici le moteur du film : « Mon cheval peut me porter au-delà des montagnes mais pas mon épée ou mon armure. C’est pour cela que nous sommes tous deux allongés, morts au fond de la vallée ».
C’est la morale du film…
Oui. Je connais bien Aki nous sommes amis, comme des frères, nous pouvons nous faire confiance l’un l’autre. Après toutes ces années c’est très facile pour moi de travailler avec lui.
Pouvez-vous faire des suggestions en tant qu’acteurs ?
Non, nous jouons exactement comme Aki l’a écrit et imaginé. Parfois, pendant les répétitions, il prend des notes et modifie le scénario. Vous devez connaître exactement ce qu’il a écrit. Tout le monde fait son job quand on joue et on se pousse les uns les autres dans la bonne direction. En général, si cela fonctionne on ne fait qu’une prise. C’est un réalisateur qui demande beaucoup. Chaque image, chaque scène a sa propre couleur et tout le monde sait ce qu’il veut.
Comment décririez-vous la relation entre Khaled et Wikström ?
Nous sommes amis. Je laisse ici Wikström parler par ma voix : « Je me moque du fait que quelqu’un ait le visage rouge, ou noir, ou de n’importe quelle couleur. J’essaie de faire avancer les choses. On doit faire son travail quoi qu’il arrive, le reste importe peu. Il faut que le business marche ».
Pensez-vous que la musique humanise le récit ?
Elle prend une grande part dans l’œuvre d’Aki. C’est une bonne façon de rendre un film efficace dans l’effet qu’elle produit sur le spectateur, son impact émotionnel. La musique donne le temps au spectateur de réfléchir au message du film. Cela peut être une arme très puissante entre de bonnes mains. Aki utilise beaucoup la musique derrière laquelle il y a toujours un message.
Comment résumeriez-vous le message du film ?
Le monde est actuellement en plein chaos et les gens sentent, comme le dit le titre, « The other side of hope » qu’il y a aussi de l’espoir. Les gens doivent essayer d’être plus tolérants et de moins voir le monde du côté de l’avarice et de la politique et plus du côté de la vie. La vie est très courte et il faudrait essayer de la vivre de la bonne manière.
Aki Kaurismäki a annoncé que c’était son dernier film, vous êtes son ami, le croyez-vous ?
Non ! (rires) Aki a eu beaucoup de pression à Berlin où il a déclaré ça. C’est un type qui a beaucoup d’humour. Si nous continuons à vivre, nous ferons plus de films.
Vous êtes acteur et musicien comment séparez-vous ces activités ?
Généralement il suffit de tout donner. Donner son cœur, peu importe ce que vous faites. En attendant je gagne ma vie avec la musique et j’attends bien sûr le prochain film d’Aki, même si cela doit être dans 5 ans.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, mars 2017.
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