« C’est le cœur de ce message. Se voir comme des humains avant tout et malgré tout » Entretien avec Sherwan Haji pour The other side of hope de Kaurismäki

Sherwan Haji interprète le rôle principal du dernier film d’Aki Kaurismäki, The other side of hope. Il y incarne Khaled, un réfugié syrien qui débarque par erreur à Helsinki. Diplômé de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Damas, Sherwan Haji a joué dans de nombreuses séries TV en Syrie. Arrivé en Finlande en 2010, il a poursuivi ses études en Angleterre et a obtenu un Master à la Cambridge School of Art en 2016. Outre son travail d’acteur, il a écrit des scénarii, réalisé plusieurs courts-métrages et des installations vidéo. Depuis 2012, il produit aussi des films à travers sa société de production Lion’s Line.

Stéphanie Lannoy : Comment ce projet vous est-il parvenu ?

Sherwan Haji : C’est très mystérieux, peut-être étais-je au bon endroit au bon moment. J’ai reçu un e-mail d’une association que j’avais aidé bénévolement pour des ateliers, une sorte de club syrien de l’amitié. Sur l’annonce, ils cherchaient un Syrien qui parlait arabe et anglais. Après un mois, en janvier 2015, le coproducteur Mark Lwoff m’a proposé de venir au bureau faire une lecture. Plus tard, il m’a demandé de revenir, m’a félicité et annoncé que j’avais un grand rôle pour le nouveau film d’Aki Kaurismäki. C’était un mélange de peur et de bonheur.

Vous avez-ensuite rencontré Aki Kaurismäki…

C’était impressionnant. Je le connaissais de réputation mais je ne connaissais pas l’homme de valeurs, le gentleman. Il m’a décrit sa vision de Khaled en me donnant quelques adjectifs. Il a parlé de dignité et a ajouté d’autres descriptions comme l’espoir. Cela m’a beaucoup aidé. Avec ces indications, j’ai pu dessiner le squelette du personnage. Il m’a laissé l’absolue liberté de sentir et d’incarner le reste du personnage. C’était une grande chose de recevoir sa confiance. Il m’a donné le scénario et m’a dit « C’est la première version du scénario, s’il te plait lis-le et dis oui ».

Quelle a été votre réaction à la lecture ?

Je souhaitais attendre le bon moment pour le lire et prendre mon temps. Mais après 2 heures, le producteur m’a appelé : « Avez-vous lu le scénario ? », j’ai donc commencé à le lire ! (rires). Chaque fois que je vois le film, je me rappelle précisément comment il était écrit et décrit.

Comment le décririez-vous ?

Il était différent des autres. Il inclut des sentiments, de la sensualité, pas que des instructions ou des descriptions techniques. C’est très poétique. Aki y donne les impressions que vous allez ressentir quand vous verrez la scène. Il s’agit d’une image multidimensionnelle. C’est une question de style dans l’écriture, de donner la couleur.

Comment avez-vous construit le personnage de Khaked ?

J’ai voulu comprendre ce que voulait le réalisateur. Je me suis ensuite demandé comment je ferais face à une telle situation. J’ai essayé d’être objectif, de rendre le personnage dans son naturel.

Khaked a un objectif, retrouver sa sœur….

Il doit trouver sa sœur et se construire une nouvelle vie, un nouveau départ. C’est une expérience que j’ai expérimenté dans ma vie personnelle.

Vous êtes arrivé en Finlande en 2010…

J’ai tourné une page de ma vie pour repartir de zéro. Je suis né dans un nouveau pays.

C’était avant la guerre en Syrie, cela doit être très important pour vous de jouer dans un film comme celui-ci ?

Bien sûr,  à plusieurs niveaux. Professionnellement, cela fait du bien en tant qu’acteur qui travaille depuis de longues années de participer à un tel projet et de collaborer avec Kaurismäki. C’était aussi une grande reconnaissance. Ce film m’apporte aussi énormément de manière personnelle. Il me donne une mémoire alternative, une expérience que je n’ai jamais traversée. J’ai beaucoup d’amis et de membres de ma famille dont c’est le quotidien. Maintenant je la possède, je peux leur dire ce que l’on ressent.

Comment se passe la direction d’acteur ?

On essaie et Aki Kaurismäki nous laisse ajuster selon ce qu’il souhaite : plus froid, plus chaud. Il ne regarde jamais le moniteur. Il était assis près de la caméra et observait. Nous avions certaines scènes avec beaucoup de dialogues, ce qui n’est pas très Kaurismakien ! (rires). C’était un plan, une prise, merci, suivant ! C’était agréable de sentir cette énergie, cette confiance.

Quand Khaled raconte sa terrible histoire aux services de l’immigration il est filmé dans un très long plan rapproché. Comment cela a-t-il été tourné ?

Une prise. Juste une fois, je le jure. Il m’a dit : « C’est une scène simple tu vas juste être assis ici ». A la fin de la scène il m’a demandé comment je sentais la scène. J’ai dit bien. Il a répondu ok. J’ai proposé d’en refaire une et j’étais même près à en tourner une troisième ou une quatrième. Alors il m’a dit : « Ne sois pas trop perfectionniste. C’était bon, même si je ne comprends pas l’arabe, c’était bon ».

Pourriez-vous expliquer la relation entre Wikström et Khaled ?

Je pense que c’est l’une des plus belles scènes. Ils se rencontrent en se battant, En se brisant le nez. Ils terminent bons amis et c’est le cœur de ce message. Se voir comme des humains avant tout et malgré tout. Wikström dit à Khaled à un moment : « Tu es peut-être plus sage mais je suis plus vieux ». Il a l’expérience, a vu, il sait que les gens ont deux facettes en eux, une sombre et une éclairée. Si vous nourrissez le mauvais, vous n’obtiendrez jamais quelque chose de bon. Si vous nourrissez le bien c’est ce que vous aurez. Wikström croit en l’humanité. Il voit quelqu’un qui a souffert, même si à ce moment-là il est amer, il lui a donné un coup de poing au visage. Si nous pensons en humain, nous savons que toute chose arrive pour une raison. Personne n’est totalement mauvais.

Khaled a des limites partout autour de lui alors que Wikström n’en n’a pas…

Dans un sens, oui. Les deux ont des choses en commun comme des événements qui se sont produits dans leurs existences et ont dû changer leur vie de manière dramatique, essayer de trouver un nouveau départ. Peut-être que Wikström voit quelque-chose en Khaled, je ne sais pas. Dans le scénario il est écrit qu’il le surprend. Je pense que c’est significatif de Kaurismäki, les protagonistes, mêmes s’ils sont définis de manière minimale dans leurs comportements et leurs actions, sont uniques dans leur pensées, leurs dialogues…

Kaurismäki a annoncé que the other side of hope était son dernier film. Qu’en pensez-vous ?

Aki ne cesse de me surprendre. C’est son choix, c’est une âme libre, il décide. Mais je crois et J’espère que ce ne sera pas le cas.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, mars 2017.

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