« Si le cinéma peut aussi servir à déposer une mémoire, c’est beau », Rencontre avec Reda Kateb pour le film Django d’Etienne Comar

Un prophète de Jacques Audiard, Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, Lost River de Ryan Gosling, Les beaux jours d’Aranjuez de Wim Wenders, sont quelques titres de la prestigieuse filmographie du comédien Reda Kateb. « Puis-je prendre le temps de fumer une cigarette ? » demande-t-il poliment avant l’entretien. L’occasion d’admirer un panorama de Bruxelles impressionnant sur la terrasse de l’hôtel qui l’accueille. Issu d’une famille d’artistes, il se qualifie lui-même de « melting pot » avec un père venu d’Algérie, un grand-père de Tchécoslovaquie et une grand-mère d’Italie. Quel comédien pouvait mieux incarner le rôle de Django Reinhardt, celui qu’on appelait le « doux-fauve », au milieu d’une communauté tzigane, en 1943 ? Explications lors d’un entretien détendu et sympathique.

Stéphanie Lannoy : Qu’est-ce qui vous touche chez Django Reinhardt ? Reda Kateb : Sa musique et sa liberté résonnent en moi.

Plonger dans l’œuvre d’un artiste est la clé pour s’approcher au plus près du personnage ? C’est vraiment par sa musique je l’ai rencontré. C’était sa manière de s’exprimer, de parler et j’ai passé un temps énorme à travailler la guitare, la piste la plus concrète pour le rencontrer.

Django jouait de la guitare malgré ses deux doigts brulés… J’ai commencé la guitare avec la main de Django pendant un an. Sur le tournage, j’avais une prothèse installée le matin, ça prenait deux heures et une heure pour l’enlever le soir, après des journées de 10 heures de tournage à peu près.

 Vous dites que c’est parfois effrayant de voir l’image que chacun avait de Django, fallait-il dépasser le mythe pour l’interpréter ? C’était important de le rendre dans toute son humanité, ne pas en faire une carte postale. Il fallait gratter et donner à voir l’homme derrière le mythe.

Comment vous êtes-vous entendus avec Cécile de France qui joue Louise, la maitresse de Django ? On a pas mal de points communs, sur notre manière de vivre ce métier et d’aborder le plateau en un mode à la fois très précis est très ouvert au moment, aux gens avec qui l’on est. On s’est retrouvé sur la même note musicalement.

Est-ce compliqué de jouer à la fois avec des comédiens professionnels et amateurs ? Non, mais cette histoire-là demandait que l’on croie à la reconstitution de ce monde, de cette culture Tzigane. Les gens sont venus apporter beaucoup de vérité et notamment Bimbam, qui joue ma mère, est une rescapée de la guerre. Quand on tournait, elle voyait un peu son enfance reconstituée. C’était très fort, ça nous ramenait vers le réel. Je n’aborde pas mes partenaires sur le mode du professionnel, j’essaye de donner le change aux autres et après, c’est vrai que malgré tout, quand on est un rôle principal on fait aussi du lien, on doit distribuer le ballon.

La présence de Tziganes a-t-elle nourri votre jeu ? Au-delà d’une histoire de cinéma il y avait une histoire de vie. Ce sont des gens qui m’ont adopté, qui m’ont fait confiance. Nos relations sont vite devenues extrêmement fraternelles. Ça m’a beaucoup aidé à croire aux situations que l’on avait à jouer.

Qu’est-ce qu’être libre selon vous ? Être libre c’est ne pas s’accrocher à un statut, ne pas être esclave du regard de l’autre. Il faut toujours marcher sur un fil quand on est acteur, du coup les périodes de succès peuvent être aussi dangereuses que les périodes de galère. On peut dans le succès se perdre dans une certaine image que l’on voudrait renvoyer aux autres ou dans un certain niveau de vie, toutes ces choses-là. J’ai envie de faire des films très différents, d’utiliser ce métier pour assouvir une curiosité sur ma manière de vivre, de regarder les autres, de traverser des mondes en concentré pendant d’assez courtes périodes, mais en profondeur.

Vous avez dit : « La semaine sur le campement de Manouches j’étais en voyage, un voyage qui va beaucoup plus loin que le tourisme. Quelle trace vous laisse le personnage de Django ? Plus que le personnage, s’il m’en reste quelque chose c’est la rencontre avec ces gens qui sont dans mon cœur. Les amis avec lesquels on continue de s’envoyer des nouvelles. Pour le reste, il doit sûrement rester quelque chose, Mais c’est difficile à nommer, comme quand vous rentrez d’un beau voyage. Vous pouvez montrer les photos, raconter quelques anecdotes. Peut-être que quelque chose a bougé en vous mais c’est difficile de le comptabiliser.

Au début il ne s’engage pas politiquement et à la fin, lors de la scène du requiem, il est face à lui-même, c’est une belle évolution… Je regarde toujours devant, comme les Tziganes, je regarde la prochaine route, le prochain voyage. Nous portons tous les histoires que l’on a traversées. Je n’aime pas la nostalgie comme posture de vie, c’est une chose qui tire vers le bas. Ou même de regarder derrière avec satisfaction, cela peut m’arriver, je peux parfois me dire : « Waouh les 10 dernières années que j’ai vécues, jamais je ne me serais imaginé gamin que je pourrais vivre toutes ces choses-là, toutes ces rencontres, tous ces voyages… » Mais je ne m’attarde pas là-dessus.

Le film résonne avec l’actualité, le phénomène des migrants… Cela faisait partie aussi de ce qui m’a plu dans le scénario, ça raconte aussi l’histoire d’une famille de réfugiés et la manière dont on peut regarder l’autre qui arrive, qui fuit la barbarie pour survivre, qui a tout laissé et qui dans ses valises, amène son talent. C’est aussi de cela qu’on parle. C’est aussi raconter cette histoire qui n’a pas été racontée dans les manuels scolaires. Le génocide des Tziganes n’a été reconnu par l’État français qu’en 2005. Plus de 50 ans après les faits. Si le cinéma peut aussi servir à déposer une mémoire, C’est beau.

Quel rôle auriez-vous envie de jouer maintenant ? Pour l’instant les choses se passent un peu au gré des propositions que l’on me fait, de mon instinct… Quand je lis un scénario, maintenant j’ai besoin de me dire que je ne me pose pas de questions, que j’ai envie de le faire.  Je suis pris par les projets que je prépare qui sont déjà sur le feu et pour le reste, si j’avais un rôle auquel je pensais, peut-être que je me l’écrirais. Je n’ai pas de projet précis pour le moment mais ça viendra peut-être un jour.

Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bruxelles, mai 2017.

Django, La critique