Le cinéaste argentin Santiago Mitre est très sollicité après la projection de son film El Presidente (La Cordillera) en Sélection Officielle Un Certain Regard ici au Festival de Cannes. D’abord acteur, il a été le co-scénariste de plusieurs films de Pablo Trapero et notamment de Elefante blanco. Santiago Mitre réalise ses propres films depuis quelques années et s’était d’ailleurs fait remarqué en remportant le Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes en 2015 Avec Paulina. Le cinéaste répond à nos questions entre deux interviews sur le roof top du Palais des Festival.
Stéphanie Lannoy : Votre film raconte l’apprentissage d’un homme qui devient président, pourquoi ce sujet ?
Santiago Mitre : L’histoire raconte le début du mandat de ce président. Cela fait à peu près six mois qu’il est en poste après les élections. Il est vu par la presse et par le public comme un président plutôt faible qui ne génère pas beaucoup d’attentes et dont on doute même un peu des capacités. Tout le récit va être la fortification de sa personnalité politique, le passage d’un personnage qui génère plutôt une certaine curiosité et des questions, à quelqu’un qui va finir par s’imposer comme l’un des leaders régionaux.
Comment le film est-il reçu ? Il y a toujours des zones de d’incertitudes évidemment, qui sont là depuis le début. Les doutes se lèvent au fur et à mesure de la diffusion. Cela fait deux jours que je peux partager mon film dans un festival international. J’en recueille des perceptions très diverses et il y a effectivement beaucoup d’éléments qui sont, disons, extrapolables en dehors de la vie politique latino-américaine. Je crois très fortement dans l’universalité de la fiction, de la narration. Dans ce genre de récit cinématographique, beaucoup d’éléments sont assez facilement compréhensibles. Un autre élément très important a à voir avec la crise de représentativité des partis politiques traditionnels tels qu’on peut la connaître un peu partout dans le monde aujourd’hui. Il en va de même pour les conflits d’intérêts ou les histoires de corruption qui existent dans toutes les institutions et les organisations internationales. Et ça malheureusement, c’est un élément que tous partagent.
Vous mélangez les genres dans ce film, passant du thriller politique au fantastique… L’idée était là dès le début du projet, lorsqu’il a été question de parler de ce président nouveau dans sa fonction. J’ai développé un récit dans lequel j’ai rajouté des éléments inquiétants, surnaturels, qui ont trait avec une tradition fantastique en littérature ou au cinéma. Ces aspects-là étaient les plus intéressants pour moi dans le développement du film. Après, c’est vrai que le commun des mortels a tendance à voir le monde de la politique comme quelque chose de mystérieux et inquiétant, de là ce traitement un peu fantastique que j’ai fait de cette histoire. C’est aussi peut-être simplement le reflet de ma perception de la politique comme cela peut être celui d’autres personnes également.
Avez-vous des œuvres de références ? En réfléchissant aux origines de ce film, je me suis rendu compte à quel point il existe une tradition littéraire argentine fantastique très importante, dont j’ai été grand consommateur à une époque de ma vie et qui continue à beaucoup m’intéresser. Évidemment cela fait partie des choses qui m’ont alimentées. Je peux citer deux grands auteurs argentins Julio Cortazar, Bioy Casarès et d’autres latino-américains très importants qui sont des auteurs qui vont vers une certaine poétisation du fantastique, aussi dans le récit politique. Je suis un grand cinéphile, Polanski, Kubrick Hitchcock, m’ont nourri en tant que réalisateur. Je ne pourrais pas dire si c’est la littérature ou le cinéma qui m’a inspiré pour ce film là, mais toutes ces références sont dans l’ADN même du film.
Ecrire une histoire et la porter soi-même à l’écran, est-ce compliqué ? J’ai gagné ma vie pendant très longtemps en écrivant des scénarios pour d’autres réalisateurs, mais j’ai toujours considéré que la réelle écriture cinématographique est vraiment filmer et monter. Celui qui écrit le film est vraiment le réalisateur pour moi. Si c’est la même personne qui réalise toutes ces étapes de bout en bout, elle participe à toutes les étapes de fabrication du film. Je ne vois que des avantages à cette double casquette qui me permet de manier tous les langages possibles à toutes les étapes de l’écriture et à vrai dire, je n’y vois pas vraiment d’inconvénients. Si j’imaginais une histoire écrite par quelqu’un d’autre, je crois qu’il faudrait que je commence par réécrire l’histoire.
Dans la scène de l’hypnose il y a beaucoup d’effets, comment avez-vous imaginé cette séquence, était-elle écrite ou s’est-elle décidée au montage avec ces fondus enchainés par exemple ? Certains éléments étaient posés dès l’étape du scénario, d’autres idées d’ordre visuel sont venues au moment du tournage en collaboration avec l’actrice. D’autres nouvelles idées sont apparues lors du montage par exemple, ces fondus enchaînés je n’avais pas l’idée au départ de les utiliser. C’est une synthèse de tous ces éléments-là.
Comment dirigez-vous vos acteurs, est-ce que vous répétez beaucoup ? Ce n’est pas que je fasse forcément beaucoup de répétitions, mais j’aime travailler de manière très proche avec mes acteurs, avec beaucoup de temps de réflexions, de lectures sur table, de discussions autour des scènes pour vraiment essayer d’établir un langage commun autour du film. Ça a été d’autant plus le cas avec Ricardo Darin bien sûr, avec qui j’ai beaucoup construit le personnage. Le travail qu’il apporte avec son corps est aussi important que le récit lui-même, que les dialogues. Il était donc très important qu’on harmonise et qu’on établisse des intentions communes dans ce que l’on voulait faire de ce personnage et de ce film. Ensuite au moment du tournage, les besoins des acteurs varient. Selon les cas, certains ont besoin d’indications très précises, d’autres cherchent le ton d’une scène du film, me parlent même au fil du tournage. J’essaie en tant que réalisateur d’être au plus près de leurs besoins et surtout de leur fournir le plus grand confort de travail pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Comment se passe votre collaboration avec l’équipe de tournage ? On touche vraiment à l’essence même du travail du cinéma. Bien entendu c’est un travail partagé il est important pour moi de pouvoir m’appuyer et m’entourer de personnes qui ont des idées et des compétences que je n’ai pas. Je ne sais pas jouer, je ne suis pas directeur photo, je ne suis pas monteur, donc évidemment l’idée est toujours de créer le meilleur dialogue pour produire tous ensemble le meilleur film possible. C’est absolument fondamental, que cela soit basé sur le respect et la compréhension mutuelle. En tant que scénariste et réalisateur, j’ai des idées très claires que je veux raconter, mais j’ai un fonctionnement aussi très horizontal pour pouvoir mobiliser toutes les compétences autour de moi.
Sans Ricardo Darin le film se serait-il fait ? Aujourd’hui j’aurais vraiment du mal à imaginer faire le film avec quelqu’un d’autre. Ricardo est la première personne à qui j’ai parlé de l’idée du film. Son enthousiasme était immédiat et il a beaucoup aimé le défi que représentait le fait d’incarner un président. J’ai vraiment écrit le rôle pour lui et je l’ai eu en tête pendant tout toute l’écriture du scénario, donc ça m’est difficile d’imaginer le film sans lui.
Vous aimez travailler avec les mêmes acteurs… J’ai effectivement retravaillé avec plusieurs d’entre eux qui étaient dans mes films précédents comme L’étudiant, Paulina. Si le projet le permet, j’adorerais retravailler avec tous les acteurs avec lesquels j’ai travaillé sur ce film-ci aussi.
Comment s’est passé le casting pour les autres acteurs, les chefs politiques sont des acteurs de différents pays… Il y a eu des cas très différent. Pour certains rôles, j’avais quelqu’un en tête que je connaissais déjà, où j’avais une idée prédéterminée donc on est passé soit par un ami commun ou par un agent. J’ai aussi deux directeurs de casting sur le film, ma sœur et une autre personne et donc on a travaillé de manière assez classique pour couvrir tous les rôles nécessaires au film.
Souhaitez-vous continuer à réaliser des projets à teneur sociale et politique comme celui-ci? Quels sont vos projets ? Au fur et à mesure que je réalise des films, de nouvelles idées émergent et j’aborde de nouveaux univers. J’ai de nouvelles idées en tête du genre politique, d’autres pas du tout. À court terme je ne sais pas encore concrètement ce que je vais faire, j’attends d’avoir à nouveau le temps de m’asseoir pour écrire et retrouver à nouveau un élan et un enthousiasme pour me lancer sur un nouveau projet. Mais il n’y en a pas un en particulier sur lequel je sois mobilisé actuellement. J’espère surtout pouvoir réaliser à nouveau parce que c’est quand même ça que je préfère faire dans la vie.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, mai 2017, 70e Festival de Cannes.