La Raison du plus faible de Lucas Belvaux a été sélectionné parmi les 50 films les plus marquants du cinéma belge durant le demi-siècle passé, à l’occasion du 50ème anniversaire des aides culturelles au cinéma en Communauté française. Le cinéaste est présent à Bruxelles pour l’annonce de l’événement, parmi un impressionnant rassemblement de réalisateurs belges.
Stéphanie Lannoy : Quelle serait votre définition du cinéma belge ?
Lucas Belvaux : C’est un cinéma d’une diversité incroyable. Il y a de tout dans le cinéma belge, des films de genre, sociaux, politiques et aussi des documentaires très singuliers. C’est un agglomérat de singularités. C’est ce qui en fait sa richesse et sa beauté.
Comment définiriez-vous votre place au sein de ce cinéma ? Je suis incapable de la définir, en plus je pense que ce n’est pas à moi de le faire. Je fais des films, mais je ne pense pas forcément à leur côté belge. Je ne sais pas en quoi ils le sont. Pour mon premier film comme pour La raison du plus faible, ou Rapt, je le sais. Pour les autres, c’est moins évident. Je suis un cinéaste belge parce que j’ai grandi et je me suis développé ici, je suis belge pour toujours. Je le suis probablement moins que d’autres cinéastes qui le sont, parce que je ne vis plus là. Mais mes films ont quelques gènes belges au milieu d’autres.
La raison du plus faible est sélectionné parmi les 50 films les plus marquants de ces 50 ans de cinéma belge, était-ce une surprise ? S’il devait y en avoir un, c’était celui-là, parce que c’est évidemment mon film le plus belge. C’est celui qui a été tourné entièrement ici, avec une équipe très largement belge, une histoire écrite pour être tournée à Liège avec des comédiens belges dans les rôles principaux. En plus, c’est l’un de mes films les plus personnels dans le sens où j’y ai mis de moi-même, de mon histoire, de mes références belges justement.
Qu’est-ce que l’on ressent quand on fait partie de cette sélection ? Ça fait plaisir de se dire que le film est resté dans les mémoires, il a plus de 10 ans maintenant. Et pourtant c’est un film dont on me parle souvent, donc cela me fait très plaisir, je suis fier aussi, bien sûr. C’est aussi un plaisir de rencontrer les collègues et de rendre hommage aussi à cette Commission du cinéma. C’est un choix politique qui a été fait il y a 50 ans et qui a toujours été maintenu depuis. C’est un beau geste politique. Quand les politiques font des choses bien, il faut le dire. Définir d’investir autant sur une politique culturelle c’est important évidemment, pour les gens qui font des films et pour l’industrie du cinéma, mais pas seulement. L’image de la Belgique francophone voyage à l’étranger et donne cette image positive, même si son portrait est parfois noir. Ce qui intéresse les gens, c’est aussi de voir un pays qui sait se regarder. C’est important aussi pour un peuple, pour une population d’être racontée par quelqu’un. A travers le cinéma belge on raconte l’histoire des belges, souvent au présent. C’est important que l’imaginaire belge francophone soit représenté.
Vous faites partie des 87 cinéastes européens signataires de l’appel à « une politique culturelle exigeante et ambitieuse » lancée au Festival de Cannes… Je suis venu plusieurs fois à la Commission Européenne discuter avec les Commissaires. Les directives qui sont prévues ne parlent ni de culture ni d’art. Ca évoque le commerce, l’accès au film, la libération d’un marché, ça parle de consommateurs, comme si les spectateurs de cinéma n’étaient que des consommateurs de chips ou d’autre chose. Il faut redire tout le temps à la Commission Européenne qu’une politique culturelle n’est pas uniquement une politique commerciale. C’est ce qui se disait tout à l’heure, la culture n’est pas un produit comme un autre et ce qui marche pour l’industrie ou pour les services ne fonctionne pas pour la culture et pour le cinéma notamment. Après, cela devient des choses très techniques comme la chronologie des médias… On peut obtenir des beaux discours généraux sur la culture comme les Commissaires Européens en tiennent régulièrement, mais dès que l’on rentre dans le détail, on découvre que le diable est dans la boîte. C’est là-dessus que l’on doit se battre. Ils ne sont pas toujours de mauvaise volonté mais ils ne maitrisent pas les sujets comme les professionnels. Quand on leur explique, que l’on prend le temps, que l’on fait de la pédagogie, ils peuvent comprendre les choses et corriger le tir, cela s’est vu souvent. Mais c’est un combat à renouveler sans arrêt parce qu’il y a aussi des lobbys, de consommateurs par exemple, qui n’ont pas une vision globale de ce qu’est l’économie du cinéma. Les Commissaires changent tous les 5, 10 ans, il faut revenir avec le même débat, avec la même pédagogie parce que les gens ont changé et qu’il n’y a pas forcément de mémoire à l’intérieur de la Commission de ce qui s’est dit, de ce qui a été lancé et des débats qui ont lieu. C’est un problème de l’Europe, il faut garder cette mémoire du travail fait.
Que pourriez-vous souhaiter pour le cinéma belge à l’avenir ? 50 années encore plus productives que les 50 dernières. On a bien sûr envie que le cinéma belge d’une part continue à se faire, à se produire, mais surtout qu’il soit mieux vu en Belgique, parce qu’à l’extérieur finalement il se vend plutôt bien, il est bien exposé. Cela peut toujours être mieux mais c’est déjà pas mal. En revanche, on se rend compte que les Belges ne vont pas forcément voir le cinéma belge. Ils ont tort, parce que cela parle d’eux.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, Bozar, « 50 ans de cinéma belge, 50 ans de découvertes » Bruxelles mai 2017
Cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes !