Rencontre avec Inès Rabadàn, scénariste, réalisatrice, professeur et présidente du comité belge de la SACD, dont le court métrage Surveillez les tortues est sélectionné parmi les films les plus marquants de « Cinquante ans de cinéma belge, 50 ans de découvertes ».
Stéphanie Lannoy : Quel serait votre définition du cinéma belge ?
Inès Rabadàn : Le cinéma belge est un cinéma d’artisans. On a parlé aujourd’hui de singularités, il me semble que c’est juste. Il y a des personnalités très différentes les unes des autres, sans qu’il y ait vraiment d’écoles au sens artistique. C’est un cinéma de gens acharnés qui mettent beaucoup de temps à faire les films, dont les carrières sont relativement petites au sens du nombre de films, mais qui sont des objets très particuliers.
Vous êtes-vous sentie assez libre jusqu’ici dans votre manière d’écrire et de réaliser ? C’est en partie grâce au Centre du Cinéma que j’ai été très libre dans l’écriture et la création de mes films. J’ai été très soutenue par le monde du cinéma et la Fédération en particulier. Après, en tant que femme, j’ai encore beaucoup de films à faire et j’espère que ce sera le cas ! (rires). Je pense qu’il existe des difficultés spécifiques aux femmes qui ne viennent pas que de l’extérieur, mais de l’intérieur de nous.
Pensez-vous à des freins particuliers auxquels une femme pourrait se confronter à l’extérieur ? C’est une question qui m’intéresse beaucoup. Les femmes ne sont pas faciles à objectiver parce que si par exemple on prend le Centre du Cinéma, on ne peut pas dire qu’il y ait un à priori contre le film de femmes, ni chez les producteurs, c’est complètement ouvert. Ensuite, dans la réalité, à la fois pour des raisons personnelles liées à l’éducation, à la société en général, les femmes prennent beaucoup plus soin dans leur vie des enfants, des vieux, des amis, de l’entourage. Et donc consacrent beaucoup plus de temps aux autres et moins de temps à leur propre œuvre. C’est le genre de choses que les femmes trimbalent elles-mêmes. Si je prends maintenant un frein extérieur, je dirais que lorsque les décideurs sont des hommes, ils n’ont pas la même sensibilité aux histoires racontées par les femmes. Il paraît évident que l’histoire de deux copains qui vont retrouver leur troisième pote d’adolescence va toucher tous les hommes présents dans une commission alors que l’histoire d’une femme qui a 50 ans et se demande si elle peut encore plaire, par exemple, ou comment elle va poursuivre sa carrière, va intéresser plus les femmes. S’il n’y a pas de femmes dans tous les lieux de décision de l’audiovisuel, j’entends par-là les commissions – parce que le Centre du Cinéma est relativement exemplaire par rapport à ça – on continue à ne pas avoir beaucoup de femmes qui font des films. On constate quand même que 50 % de filles sortent des écoles et le pourcentage s’amenuise très fort par la suite. On remarque aussi un rapport inversement proportionnel entre l’argent que coûtent les films et le nombre de femmes qui en font. Il y a encore un gros travail à faire pour donner aux femmes la confiance et pour convaincre qu’il est intéressant que ces 50 % d’histoires peu ou pas racontées, le soient. L’innovation vient aussi de là.
Votre court-métrage Surveiller les tortues est sélectionné parmi les 50 films les plus marquants de l’histoire du cinéma belge, que ressentez-vous ? Il existe beaucoup d’autres films intéressants dans ceux qui ont été produits. Mais je suis heureuse d’en être, je trouve la sélection très chouette. Ça fait plaisir.
Parmi tous vos films, est-ce celui que vous auriez choisi ? Ce court-métrage là, Surveiller les tortues a sa place parce que c’était un film qui a marqué au moment où je l’ai réalisé. Il a été beaucoup vu à l’international, a été primé, mis au programme du bac cinéma en France, il a eu beaucoup de succès et j’en suis fière. Mon dernier film Karaoké domestique aurait pu s’y trouver aussi, parce que c’est aussi un film un peu « ovni » qui a fait beaucoup parler de lui et qui a aussi une belle visibilité ici et à l’international. Je suis contente, pourquoi pas ce film-là ! (rires).
Que peut-on souhaiter au cinéma belge ? Je souhaite au cinéma belge de rester un artisanat fait par des gens originaux et en même temps d’être un peu moins pauvre. Si l’on pouvait garder les singularités qui viennent de cette forme d’artisanat du travail mais avec moins de précarité pour les artistes ce serait super.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, 50 ans de cinéma belge, Bozar, Bruxelles, mai 2017
Cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes !