Les Barons de Nabil Ben Yadir lancera l’anniversaire « 50 ans de cinéma belge, 50 ans de découvertes », le 15 juin à Flagey, fête de l’aide à la création en Communauté française de Belgique, qui se déroulera sur une année. Nabil Ben Yadir nous donne sa vision du cinéma belge.
Stéphanie Lannoy : Quelle serait votre définition du cinéma belge ?
Nabil Ben Yadir : Je mets au défi quelqu’un de m’en donner une. J’ai essayé d’en trouver une, le lien… Sa diversité, si l’on veut être politiquement correct. Mais je ne vois pas de lien, si ce n’est le socle commun qu’est la Belgique.
Vous dites parfois que votre culture cinématographique est basée sur des films grand public, comme les films américains, pensez-vous qu’il existe un héritage issu du cinéma belge ? On a grandi accompagnés de films comme ceux-là, sans être au courant qu’il y avait des films belges à l’époque. Celui qui pour moi avait une gueule un peu à l’américaine, c’était le Huitième Jour de Jaco Van Dormael. Ce sont des choses qui sont pensées, accessibles à tout le monde et qui sont drôles. J’ai vraiment grandi dans ce que l’on appelle le cinéma VHS, les versions doublées… Comme c’est mon métier, j’ai bien sûr découvert de nombreux cinéastes par la suite, comme les frères Dardenne ou Fabrice Du Weltz qui n’ont aucun lien entre eux. Concernant la question de l’héritage, je commence à m’apercevoir que beaucoup de jeunes cinéastes sont un peu des enfants des frères Dardenne, dans leur mise en scène, leur manière d’aborder les personnages et les sujets. Je le ressens et je pense que c’est également assumé.
Comment définiriez-vous votre place au sein de ce cinéma ? Parmi le public, J’étais le seul avec une casquette, Je me suis senti un peu unique ! (Rires). C’est sans doute dû à mon passé d’ouvrier, je ne veux pas faire le même film. Je ne dirige pas le vent pour aller là où je veux qu’il me mène, je me laisse aller vers des sujets qui me touchent, que j’ai envie de raconter. J’ai fait un film en flamand (Dode Hoek/Angle mort ndlr) parce que le personnage était flamand. En ce moment, j’écris un film avec Antoine Cuypers que je vais tourner à Liège et à Bruxelles et le produire en partie avec les frères Dardenne. Je ne sais pas quelle est ma place, avoir une place signifierait rester assis au même endroit.
Que ressentez-vous d’être sélectionné pour les 50 films les plus marquants ? Pour ces 50 ans je reste un nouveau-né. Je suis un peu mal à l’aise car je suis face à des gens qui ont de la bouteille. Je suis évidemment flatté, c’est un honneur que Les Barons soit projeté à Flagey pour l’ouverture des 50 ans du cinéma. Un film bruxellois qui vient de quartiers populaires, fait par un autodidacte, qui assume le quartier bruxellois, c’était une première et je pense que sa projection en ouverture est un bon signal pour l’avenir, pour les futurs films et pour les cinéastes en herbe.
Quelles sont les raisons, selon vous, qui ont poussé à choisir les Barons comme film d’ouverture ? Je ne sais pas, comme le disait Gilles Ledure du Flagey, c’est un film rassembleur qui raconte quelque chose d’autres communautés, qui ne sont pas spécialement la communauté wallone ou flamande. C’est une espèce de minorité qui existe et prend de plus en plus de place. Je ne sais pas si c’est lié à ce qu’a vécu Bruxelles ces deux dernières années et de pouvoir rire maintenant. Les Barons c’est avant tout une autocritique. C’est bien d’en reparler comme ça, face à mes pères, Jean-Pierre, Luc et les autres. Ce sont des potes mais ce sont quand même eux qui portent le cinéma et je suis très content de produire avec eux.
Comment a commencé votre collaboration ? Avec Luc c’est une vraie rencontre et on avait envie de travailler ensemble. En tant que réalisateur et producteur maintenant, mes exemples sont les frères Dardenne. Ils n’ont pas produit leur premier film et en ont subi les conséquences. Ils ont ensuite voulu être maîtres de leurs propres films. C’est ça que je veux faire aussi, pouvoir être du début de la chaîne jusqu’à la fin. Je l’ai toujours été, dans Les Barons je l’ai fait, mais a un moment donné si à la fin vous n’existez pas symboliquement, ça ne va pas. J’aime rassembler des énergies. Voir en Antoine Cuypers quelqu’un avec qui je peux développer une histoire, avec les frères un film auquel je pourrais collaborer.
Vous travaillez au sein d’un vrai Terreau belge… Cela se fait de manière totalement innocente. Il est intéressant de se dire qu’il y a des connexions, des amitiés comme ça. J’admire le travail des frères j’ai beaucoup aimé le premier long-métrage d’Antoine Cuypers, Préjudice. Il a une plume. C’était un signal intéressant, nous ne sommes pas tous en train d’essayer de faire nos projets dans notre coin. Je viens d’un quartier populaire c’est-à-dire populaire à tous les niveaux. La solidarité, le voisinage, tout ça m’intéresse, le travail de groupe.
Que peut-on souhaiter au cinéma belge ? On peut souhaiter au cinéma belge qu’il continue à perdurer et puisse aussi créer un peu de chauvinisme belge on a vu avec Les Barons et d’autres films ce qui peut arriver dans les salles de cinéma. Il faut pouvoir communiquer vite et bien avec le public, ne pas l’oublier en disant qu’on est là, qu’on existe, on va venir faire des films et on pense aussi à eux. Mais penser à eux ce n’est pas faire n’importe quoi. Avant tout le monde, avant même les distributeurs, j’ai mes potes qui voient les films en projection privée. Ils ne sont pas du tout des cinéastes, ce sont des cinéphiles de films VHS et ils voient mes films avant tout le monde et me donnent un avis d’amitié, un avis clair.
Propos recueillis par Stéphanie Lannoy, 50 ans de cinéma belge, Bozar, Bruxelles mai 2017
Cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes !